home > Films > Mon vingtième siècle (1989)
Mon vingtième siècle (1989)
de Ildiko Enyedi
publié le mercredi 14 mars 2018

par Maurice Pelinq
Jeune Cinéma n° 196, été 1989

Sélection officielle Un certain regard du Festival de Cannes 1989.
Caméra d’or 1989.

Sorties les mercredis 10 février 1990 et 14 mars 2018


 


1880. La lumière électrique vient d’être inventée.
Pour en informer le monde, Edison organise à New York une grande parade : fanfare avec musiciens couverts d’un casque surmonté d’une énorme ampoule qui brille dans l’obscurité.


 


 

Au-dessus, dans le ciel, deux étoiles décident de descendre sur Terre et de prendre corps à Budapest. C’est ainsi que naissent, fort humainement, deux jumelles, Lili et Dora.


 

Dix ans plus tard, nous les retrouvons une nuit de Noël, orphelines, encapuchonnnées et vêtues de longues robes noires, proposant des allumettes aux passants trop pressés et finissant par les faire brûler pour tenter de se réchauffer les doigts (ô Andersen, ô Renoir !). Comme dans un rêve, un âne passe, qui leur arrache un sourire, avant que deux messieurs emportent les jumelles chacun de son côté.


 

Le siècle finissant continue à pourvoir l’humanité de nouvelles inventions : la télégraphie sans fil, le cinéma. Les femmes commencent à revendiquer l’égalité avec les hommes.
Les deux sœurs ont grandi sans se reconnaître. La nuit de la Saint-Sylvestre 1899, au moment où le siècle bascule, elles sont dans l’Orient-Express, voyageant vers Budapest, l’une en 1ère, l’autre en 3e. Le hasard qui les a ainsi malicieusement rapprochées ne les fait pourtant pas se rencontrer.


 


 


 

Elles appartiennent à des mondes différents, Dora, aventurière de haut luxe et de petite vertu, Lili, militante anarchiste chargée d’exécuter un attentat : mais toutes deux jouent les rôles qu’elles se sont laissé imposer plutôt qu’elles ne vivent leur vie véritable. Manipulées l’une par les hommes, l’autre par les idéologues, elles n’ont guère plus d’autonomie que le chien couvert d’électrodes sur lequel nous voyons des savants faire leurs expériences. Amoureuses du même homme (sans le savoir), elles passent à côté du bonheur. Un espoir cependant demeure pour Lili : les sentiments vrais remontent en elle, brisent le carcan idéologique dont elle est prisonnière : elle refuse le massacre et, alors que la mèche flambe déjà, elle lance la bombe de manière à ne tuer personne, comme Keaton.


 


 

"Le XXe siècle" de Idilko Enyedi est tout à fait subjectif.
Auteur complet (scénario, dialogue, réalisation, direction du montage), cette jeune Hongroise a suivi d’abord des études scientifiques, mathématiques et physiques). Son entrée à l’École supérieure du film de Budapest semble avoir été le fait d’une conversion intérieure : lasse d’avoir vécu sous l’empire de la logique, elle s’ouvre aux sentiments, à l’imagination, à la fantaisie.
Ce premier long métrage est le témoin de cette évolution : si, comme tout semble l’annoncer, le XXe siècle ne tient pas les promesses du XIXe, c’est que trop de technique et d’idéologie prive l’individu d’une partie de lui-même. Les personnalités de Dora et de Lili sont faibles, incomplètes : elles sont les jouets des autres, mondains frivoles ou sévères idéologues.


 


 

Le salut passe par la reconquête de la dignité et de l’intégralité de la personne. C’est, semble-t-il, ce que veut dire le film. Il le suggère plus qu’il ne le dit, car il ne cherche pas à démontrer une thèse. Au contraire, il s’épanouit dans la fantaisie poétique, dans la tendresse et dans l’humour. La mise en scène y contribue beaucoup en se plaçant d’emblée, et comme naturellement, dans le ton du cinéma muet : noir & blanc savamment contrasté, nimbe lumineux très hollywoodien pour Dora, éclairage plus plat pour Lili, transitions fortement marquées entre les séquences par la fermeture à l’iris, souvenir discret de quelques films connus.


 

Le charme passe : c’est un film où l’on se sent heureux.
C’est peut-être ce qui a séduit le jury de la Caméra d’or : Mon XXe siècle a été ainsi classé en tête des trente et un premiers films présentés cette année à Cannes, toutes sections confondues.

Maurice Pelinq
Jeune Cinéma n° 196, été 1989


Mon vingtième siècle (Az én XX. századom). Réal, sc : Ildiko Enyedi ; ph : Tibor Mathé ; mont : Maria Rigo ; mu : Laszlo Vidovszky. Int : Dorota Segda, Oleg Yankovski, Paulus Manker, Peter Andoral, Gabor Maté (Hong Kong, 1989, 102 mn).



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts