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Un barrage contre le Pacifique (2008)
de Rithy Panh
publié le lundi 20 janvier 2014

par Lætitia Kulyk
Jeune Cinéma n°321 décembre 2008

Sortie le mercredi 7 janvier 2009


 


Quand le film commence, les rizières ont été détruites par l’entrée du Pacifique, la mère inspecte et se lamente de la tromperie de l’État colonial qui l’a laissé acheter et exploiter des terres inondables. Un barrage contre le Pacifique, comme le titre, est la résistance de l’individu, contre le pouvoir, la force, ce qui paraît inébranlable et par conséquent une lutte vouée le plus probablement à l’échec. On ne sait ce qu’aurait pensé Marguerite Duras de cette seconde adaptation de son roman (après celle de René Clément en 1957), elle qui avait tant dénigré la version de L’Amant réalisée en 1992 par Jean-Jacques Annaud. (1)


 

En tout cas, cette fois-ci, le regard de Rithy Panh, lui-même habité par les deux identités cambodgienne et française, fait gagner le film en sensibilité et en justesse. Les paysages, balayés par les intempéries au fil des événements, nous dépaysent en même temps qu’ils nous donnent un vague sentiment de sérénité.
Pourtant, l’action se déroule principalement dans le domaine familial, noyau des souffrances : absence du père, omniprésence de la mère qui se rattache à ses enfants comme à la vie.


 

La fluidité de la narration pourra peut-être laisser sceptiques les habitués du style dysnarratif et des récits à la troisième personne de Marguerite Duras, il n’en reste pas moins que le film livre un beau témoignage de l’attachement à une terre, de la femme objet de désir et de passion, et des rapports de force qui auront sévi entre colonisateurs et colonisés, riches et pauvres, mère et enfants.


 

Les acteurs ne portent pas tous le film et certains paraissent parfois peu convaincants.
Le fils, Joseph, incarné par Gaspard Ulliel, est d’une violence extrême, voire caricaturale. Sa grossièreté laisse des traces, même lorsque son rôle devient plus romanesque.


 

Isabelle Huppert, que l’on n’aurait pas imaginé incarnant, dans cette histoire partiellement autobiographique, la propre mère de Marguerite Duras, en vient à habiter le plus justement son rôle, et donne, malgré la maladie et l’instabilité psychologique, tout l’équilibre à la famille et au film.


 

Sa mort aurait pu laisser un vide, mais elle n’est que le passage à un ordre nouveau : la fille devient femme, laissant derrière elle l’abaissement passager au pouvoir de l’argent, et le pouvoir est redonné aux locaux lorsque Joseph donne symboliquement son fusil au "caporal", qui travaillait pour sa mère. L’histoire aura finalement raison des souffrances et humiliations.
Rithy Panh signe un happy end absent du roman, montrant, des années plus tard, les plantations, un temps objets de malheur puis de convoitise, qui s’avèrent, en 2007, sources de richesse.

Lætitia Kulyk
Jeune Cinéma n°321, décembre 2008

1. Une première adaptation de Barrage contre le Pacifique a été réalisée par René Clément en 1958. Marguerite Duras raconte avoir décidé faire son propre cinéma après avoir vu "cette idiotie-là".


Un barrage contre le Pacifique. Réal : Rithy Panh ; sc : R.P., Michel Fessier, d’après le roman de Marguerite Duras ; ph : Pierre Millon ; mu : Marc Marder ; mont : Marie-Christine Rougerie ; déc : Yan Arlaud. Int : Isabelle Huppert, Gaspard Ulliel, Astrid Bergès-Frisbey, Randal Douc, Stéphane Rideau. (France-Belgique, 2008, 115 mn).



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