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Héroïque Lande (l’) (2018)
de Nicolas Klotz & Elisabeth Perceval
publié le mercredi 11 avril 2018

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 11 avril 2018


 


Depuis Paria (2000), le couple Nicolas Klotz / Élisabeth Perceval explore les zones d’invisibilité de la société française, le monde des sans-abri, des demandeurs d’asile, des marginaux de toutes sortes, sous la forme documentaire ou bien sous celle de la fiction. L’Héroïque Lande, tourné entre 2015 et 2016 à Calais, est un documentaire auquel les auteurs ont voulu donner une coloration épique, que signifie d’emblée le titre, que renforcent la monumentalité, la durée de l’œuvre (plus de trois heures et demie), la figuration nombreuse et l’approche lyrique du sujet.

Le mot "lande" a été préféré à celui, usé, de "jungle", désormais indissociable de Calais ; il consonne avec le "no man’s land" qui sert de toile de fond au film et se confond presque avec Heroic Land, un projet de parc d’attraction local prévu pour 2019.


 

Le film est divisé en chapitres, qui vont de "Naissance d’une nation" à "La frontière brûle" - cette dernière partie servant par ailleurs de sous-titre à l’opus. La longueur inhabituelle de la bande ne vise pas à délivrer des informations que n’auraient pas fournies journaux et reportages télévisuels mais, simplement, à laisser la parole à ceux qui ne l’ont pas. Les auteurs n’ont pas du tout cherché à faire le tour de la question. Aucune voix ne nous précise les tenants et les aboutissants, les dates, les chiffres. Nous ne voyons ni passeurs, ni violences, ni trafics, ni activistes, ni no boarders, ni bénévoles, ni médecins du monde. Les cinéastes évitent les intermédiaires, positifs ou négatifs.


 

Nous comprenons peu à peu que nous sommes dans la partie du campement dite de "la zone sud" (dont le démantèlement, en février 2016, est décrit au moyen d’une caméra furtive). Cette opération de police est au centre du film.
Nous faisons connaissance avec des individus, de très jeunes hommes (peu de femmes en vue), âgés de 14 à 20 ans, guère plus, portant anoraks et parkas, capuches ou bonnets vissés sur les yeux, ressemblant à des lycéens. Ils parlent, se taisent, communiquent par portable, se montrent de précieuses photos gravées sur les cartes-mémoire, amorcent des récits aussitôt interrompus, quelquefois repris.


 

Ils jouent avec la caméra, se mettent en scène, surtout lorsqu’il sont en groupe, plaisantent, font les bravaches, s’adonnent au foot, au cricket, aux dominos, manient des cerfs-volants. Pris isolément, ils en disent un peu plus, égrènent le nom des pays traversés, évoquent les mois de prison en Libye, le rançonnement, les coups, les amis disparus. Tous considèrent avoir eu de la chance, tous remercient Dieu.


 


 

Les filmeurs sont invités sous leur tente ou au café, dans une boulangerie, autour d’un feu. Les exilés chantent et dansent entre eux, se hasardant peu en ville par peur d’être frappés ou aspergés de gaz lacrymogène par la police.
Après avoir dépeint leur quotidien et la destruction du camp, le film s’ouvre sur ce qui l’entoure : le port, les embarcations, la plage et la dune. Le thème du passage en Angleterre, jamais abandonné, est l’obsédant leitmotiv. Les entretiens reprennent dans une lande qui reverdit.
On reconnaît plusieurs visages. Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval ont voulu insister sur "le temps de l’attente permanente" qui est celui des protagonistes. Un tel usage de la durée aiguise la sensibilité du spectateur, le place en état de réceptivité. L’étirement du temps ouvre l’accès à la méditation.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

L’Héroïque Lande. La frontière brûle. Réal, sc, mont : Nicolas Klotz & Elisabeth Perceval ; ph : Nicolas Klotz ; mu : Ulysse Klotz ; son : Elisabeth Perceval (France, 2018, 220 mn). Documentaire.



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