par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe
Sortie le mercredi 18 avril 2018
On connaît bien la chanson de Agnès Jaoui et de Jean-Pierre Bacri, depuis Un air de famille. Elle résonne à nos oreilles, cette fois-ci avec plus de mélancolie et de noirceur, car Place publique se présente comme une comédie sociale aigre-douce qui traite de la célébrité à laquelle tout le monde prétend aujourd’hui, même plus le fameux quart d’heure de Warhol, mais la simple minute.
Pour ce faire, à part les photos, les selfies et les conversations téléphoniques à tout va désormais usuelles, la bonne idée a été de présenter Nathalie, la productrice télé, incarnée par Léa Drucker, avec son oreillette blanche collée à l’oreille, son téléphone blanc orné d’un grand pompon blanc qu’elle ne quitte jamais et qui s’impose sans cesse dans les plans où elle apparaît.
Inspiré par Un mariage de Robert Altman (1978), Partition inachevée pour piano mécanique de Mikhalkov (1977) et La Règle du jeu de Jean Renoir (1939), le film de Agnès Jaoui se présente aussi comme un film choral. Mais un film choral dont tous les personnages sont seuls, isolés, oublieux de la dimension communautaire du monde.
Ainsi, Nathalie, la productrice des émissions de son beau-frère, le célèbre Castro (Jean-Pierre Bacri qui se surpasse dans le cynisme) est seule, comme celui-ci, face à son Audimat en chute libre. Tous les participants de la fête pour la pendaison de crémaillère de Nathalie ne sont là que pour des raisons professionnelles ou médiatiques : la maire est présente pour se faire bien voir des people invités, le jeune youtuber pour se faire connaître des personnes plus âgées, etc. Quant à Hélène, ex de Castro et sœur de Nathalie (Agnès Jaoui, toujours aussi juste en militante stéréotypée), elle est seule aussi, ne parvenant pas à caser son Afghane réfugiée qui n’intéresse pas les médias.
Le couple des auteurs connaît bien l’univers dont il parle, son cynisme, ses hypocrisies, ses intrigues de courtisans et ses trahisons - un condensé du monde du pouvoir et des médias, réuni dans une belle propriété, "à seulement 35 minutes à vol d’oiseau de Paris", pour vivre un fête triste, une sorte de règle du "je". Les coups pleuvent sur ce pauvre Castro, vieux beau à moumoute et lunettes noires (évocation de Thierry Ardisson ?), même de la part de sa propre fille, dont le dernier roman traite de manière ouverte de ses parents, de leurs failles et de leurs échecs. La pluie qui tombe inopinément sur cette fête est la métaphore du déluge qui pourrait s’abattre un jour sur cette société qui adore encore le Veau d’or, sur une musique sud-américaine de Fernando Fiszbein, avec ses adaptations décalées de chansons de Claude François.
Le film se termine sur une touche sensible et la fin reste ouverte.
Rien n’est peut-être perdu. "Nous sommes sans doute un peu neuneus d’être non seulement politiquement corrects, déclare Agnès Jaoui, mais en plus romantiques ! On croit en l’amour, en la jeunesse et la possibilité de fins heureuses. On a, malgré tout, espoir dans l’humanité."
Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe
Place publique. Réal : Agnès Jaoui ; sc : Agnès Joaui & Jean-Pierre Bacri ; ph : Yves Angelo ; mont : Annette Dutertre ; mu : Fernando Fiszbein. Int : Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri, Léa Drucker, Kévin Azaïs, Nina Maurisse, Hélèna Noguerra, Miglen Mirtchev, Frédéric Pierrot, Grégoire Œstermann (France, 2018, 98 mn).