par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n°388-389, été 2018
Sélection officielle Un certain regard du Festival de Cannes 2018
Sortie le mercredi 20 juin 2018
Antoine Desrosières semble avoir trouvé sa voie et ne lâche pas la tchatche des héroïnes de son moyen métrage, Haramiste (2015). Il revient à la charge avec un long aux faux airs de Marivaux, entre La Commère (1741), La Fausse Suivante ou Le Fourbe puni (1724) et, bien évidemment, Les Jeux de l’amour et du hasard (1730).
Les puristes se demanderont bien pourquoi pareille filiation, mais ceux qui auront vu les deux films ne se poseront même pas la question. On retrouve les deux jeunes filles, toujours sœurs, dans une situation qui en dit long sur les rapports filles-garçons dans les banlieues, que toutes les missions et autres textes de loi ne parviendront jamais à transformer. Il s’agit d’une histoire bâtie par les protagonistes à partir d’improvisations et se basant sur un fait réel.
Deux jeunes de banlieue courtisent et séduisent nos deux sœurs à la langue bien pendue. À l’occasion de l’absence de l’une d’entre elles, les deux garçons, pas très futés et un rien machos, en profitent pour faire peser sur la sœur qui est restée un chantage plus charnel qu’affectif, qui leur permettra de s’octroyer une petite privauté, presque à l’insu du plein gré de la principale intéressée. On frôle le graveleux, même si cet univers souvent dur et sans âme est en partie dédramatisé par la verve insouciante et inventive de tous ces acteurs non-professionnels, qui émaillent leur propos d’invectives, de jurons, de "frère" mal approprié, mais surtout d’une invention linguistique proche de la prosopopée.
Tout cela serait triste si, les réseaux sociaux mettant dans cette histoire leur grain de sel et de sex(tape), la situation ne se retournait en faveur des deux jeunes filles qui, comme chez Marivaux, vont parvenir à piéger les deux godelureaux qui en seront pour leurs frais.
S’il va sans dire que ce dernier festival s’est montré hypocritement féministe, accusant les violeurs tout en continuant d’exhiber stars et starlettes à moitié dénudées sur le tapis rouge, À genoux les gars devient, a contrario, l’exemple même du film militant, féministe, parce que, justement, il tente (et réussit plus d’une fois) à installer la libération féminine dans son propos, dans son humour et dans sa chute. Outre le talent des cinq acteurs et actrices, à la fois très concentrés et très décontractés, notamment dans les sexes de sexe, le film est plus qu’une comédie ; il se présente comme un témoignage, agréable à voir et à écouter, de l’état actuel des relations homme-femme, qui perdurent et s’adaptent malgré les ratiocinations des politiques et des médias.
Ainsi le vœu du réalisateur pourrait se réaliser : "D’un point de vue cinéphile, j’espère avoir fait un film suffisamment différent et jouissif pour qu’il reste un témoignage marquant d’aujourd’hui. Et d’un point de vue citoyen, j’aimerais qu’il serve de support pour créer des débats."
Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n°388-389, été 2018
À genoux les gars. Réal : Antoine Desrosières ; sc : A.D., Anne-Sophie Nanki, Souad Arsane, Inas Chanti, Sidi Mejai & Mehdi Dahmane ; ph : Georges Lechaptois ; mont : Nicolas Le Du. Int : Souad Arsane, Inas Chanti, Sidi Mejai, Mehdi Dahmane (France, 2018, 98 mn).