par Jérôme Fabre
Jeune Cinéma n°296-297, été 2005
Dans l’histoire du cinéma chinois, la Shaw Organisation est, aux côtés de la Cathay ou de la Golden Harvest, un monument incontournable qui irrigue le septième art depuis quatre-vingts ans déjà.
Née au début des années 20 à l’instigation des quatre frères Shaw, fils d’un riche homme d’affaires, la Shaw Organisation fut un modèle de multinationale familiale dont la puissance (souvent) et l’originalité (parfois) laissa son empreinte sur l’ensemble de l’Extrême Orient.
D’abord implantée à Shanghai à la naissance du cinéma comme industrie - très vite immensément profitable - par l’intermédiaire de Unique Film Productions, l’affaire s’étendit ensuite à l’Asie du Sud-Est (surtout à Singapour et en Malaisie), puis à Hong Kong où la branche locale fut renommée Shaw & Sons.
À la fin des années 50, suite à une pression concurrentielle de plus en plus forte de la part des autres studios de l’île, Run Run créa, en mars 1958 exactement, la Shaw Brothers (HK) Ltd - ci-après, la Shaw Brothers (1), structure nouvelle à laquelle il apportera centralisation, rationalisation, production de masse et efficience économique (2).
Verticalement intégrée de la production à l’exploitation (3), à l’image des grands studios hollywoodiens jusqu’au milieu des années 50 avant leur démantèlement par les lois anti-trusts, la Shaw Brothers connut presque dès sa naissance un âge d’or et de domination d’une grosse dizaine d’années avant de se heurter, au début des années 70, à la montée en puissance de la Golden Harvest et de ses stars transfuges de la Shaw, telle que Jimmy Wang Yu, ou juste écloses, telles que Bruce Lee, et, un peu plus tard, Jackie Chan et Sammo Hung.
Au cours des années 80, la Shaw dut également composer avec le pouvoir grandissant d’un réseau de distributeurs concurrent, Golden Princess, et avec une diminution conséquente de sa propre production (6 à 8 films l’an), si bien qu’à la fin des années 80 et suite à la désintégration de ses réseaux de distribution et d’exploitation et à la mise en location de ses moyens de production à des chaînes TV, son pouvoir de marché issu de l’intégration verticale qui avait fait sa renommée était pratiquement nul.
Finalement, la Shaw Brothers se reconstruira progressivement, à partir de l’articulation 80’s-90’s, en un nouvel empire autour de la télévision d’abord, puis de la fourniture de contenus pour tous les nouveaux moyens de diffusion ensuite.
Jérôme Fabre
Jeune Cinéma n°296-297, été 2005
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* Cf. l’article d’origine : "Sur huit films de Chang Cheh" (1923-2002)",] Jeune Cinéma n°296-297, été 2005.
1. Les quatre frères Shaw sont Runje, Runde, Runme et Run Run ("Run" signifiant "bienveillance"). Runje, l’aîné et brillant avocat, fut celui qui lança la fratrie dans l’industrie du cinéma. Le mode de collaboration entre les frères consistait en une division des tâches et des zones géographiques, chaque maillon de la chaîne de production et de distribution et chaque région étant de la sorte aux mains d’un Shaw : au début, les films étaient même tournés par Runje lui-même. Après que les trois aînés furent morts ou en retraite, Run Run prit seul la tête de la Shaw.
2. Afin de bien comprendre le fonctionnement de la Shaw Brothers et d’appréhender le plus justement possible les différents auteurs qui l’ont fréquentée, il est important de retenir que, en dépit de cette centralisation et de cette systématisation, se sont rapidement formés des "clans ", à la tête de chacun desquels figurait une haute figure de la réalisation, secondée par les acteurs et techniciens de son choix. Chaque clan travaillait au sein de son genre de prédilection, avec son style et ses stars. À ce titre, la plupart des films de Chang chroniqués ci-dessous réunissent une équipe technique, des chorégraphes et des acteurs récurrents, pour une homogénéité cinématographique assez confondante.
3. En fait, à partir de 1958, Shaw & Sons sera actif sur les marchés de la distribution et de l’exploitation des films, tandis que la Shaw Brothers se concentrera sur la production, dans ses studios de Clearwater Bay qui incorporaient tous les stades de la construction d’un film (de l’écriture du scénario au doublage, en passant par les effets spéciaux, la colorisation et l’école de kung fu pour former les acteurs). À son meilleur, la Shaw Brothers produira 40 films l’an.