par Ginette Gervais-Delmas
et par Tino Ranieri
Jeune Cinéma n°1, septembre-octobre 1964
et
par Jean-François Camus
Jeune Cinéma n°361-362, automne 2014
Sélection officielle de la Mostra de Venise 1963
Sortie le jeudi 27 mai 1965
Pour saluer son cinquantenaire, Jeune Cinéma a posé une question à ses collaborateurs : Quel film des cent dernières années aimeriez-vous sortir de l’ombre ?
Ce film fait partie des hidden gem que Jeune Cinéma avait déjà sélectionnés à leur sortie.
À l’occasion de ce vingtième anniversaire de la Résistance - et comme il se doit, - la guerre, en bonne et due forme et en uniforme, a tenu le plus souvent le devant de la scène, et le cérémonial a eu ses droits. Pourtant apparaît un courant qui tend à rétablir l’authenticité de l’époque par-delà les conventions et les légendes. Le cinéma participe à cette vision nouvelle.
En France, Alain Resnais avait su, avec son tact et sa sensibilité très juste, nous toucher par la si belle et si discutable histoire d’amour de Nevers, de ces deux jeunes gens broyés par un monde inhumain. (1)
Dans les pays socialistes aussi, le ton a changé. Ján Kadár et Elmar Klos, qui ont mis en scène l’admirable livre de Ladislav Mnacko, La mort s’appelle Engelshen, (2) ont su faire de cette histoire de partisans slovaques, non la glorification habituelle de l’héroïsme, mais une méditation sur cette guerre, sur ce qu’elle fit des hommes.
Même en Pologne, pays martyr, les frères Rosewicz - le metteur en scène et le poète-scénariste, les artistes les plus marqués par ces années terribles - ont pris comme héros de leur dernier film, Echo, (3) un homme qui jadis accepta, par peur, de travailler pour les Allemands. Vingt ans après, il nous apparaît dans sa vie privée comme un homme tout à fait normal, plein d’excellentes qualités. Mais le passé resurgit et il est mis en accusation : le film n’est pas que l’expression de son angoisse.
Enfin voici que nous arrive Le Terroriste, de Gianfranco De Bosio, un témoignage vécu, mais aussi un témoignage repensé, éclairé par toute l’histoire des vingt ans écoulés depuis. Le ton n’est plus celui de la passion romantique, la violence d’alors fait place à la lucidité : plus de compréhension pour les êtres sans doute, mais aussi plus de rigueur quant aux idées et aux faits politiques.
Ici la Résistance nous apparaît dans sa complexité. Il faut souvent dénouer les fils qui tissent cette étoffe, et ces fils sont de natures différentes, irréductibles : l’étoffe ne sera pas longue à se déchirer…
Est-ce là enlever son prestige à la Résistance ? Non, au moins pour ceux qui l’ont vécue. Elle leur redevient trop présente, tant il est certain que rien n’est plus fort que le vrai.
Ginette Gervais-Delmas
Jeune Cinéma n°1, septembre-octobre 1964
1. Dans Hiroshima mon amour de Alain Resnais (scénario et dialogues de Marguerite Duras,) Emmanuelle Riva raconte sa jeunesse à Nevers.
2. La Mort s’appelle Engelchen (Smrt si rika Engelchen) de Ján Kadár & Elmar Klos (1963). Le film, d’après le roman de Ladislav Mnacko, présenté au Festival international du film de Moscou 1963, a reçu le Prix d’or, juste après le 81/2 de Federico Fellini, lauréat du Grand Prix.
3. Echo de Stanislaw Rózewicz (1964), scénario de Stanislaw Rózewicz & Tadeusz Rózewicz, a reçu le prix du meilleur acteur pour Wienczyslaw Glinski, au Festival international de Karlovy-Vary 1964.
On ne peut faire moins que d’observer à quel point, dans le courant du cinéma de Résistance, Le Terroriste fait figure d’antithèse. Le thème a été traité à travers l’individu et à travers la masse. Et Le Terroriste ne recourt ni à l’un ni à l’autre.
On a exalté la participation de la foule à la Résistance. Et Le Terroriste montre des rues vides.
On a illustré la renaissance de la démocratie fondée sur l’unité des combattants, l’idéologie effacée par la flamme de l’enthousiasme. Et Le Terroriste compte parmi ses intentions les mieux précisées l’étude des fissures déjà perceptibles, dans le cadre du Comité de Libération, comme anticipation de la formation des partis dans la future nation démocratique.
On a parlé d’une révolution improvisée. Et Le Terroriste en fait, non sans multiplier les réserves critiques, une affaire d’organisation tactique et mentale…
Le Comité est le premier constitué à Venise après le 8 septembre 1943 (1).
Il présente encore l’aspect quelque peu disparate d’un wagon dont les voyageurs dépareillés et mal assortis n’ont en commun qu’un but lointain. Mais tous ses membres savent quelle tâche les attend. Au moment même où n’apparaît aucune lueur, aucun signe de paix, ils doivent la prévoir, l’organiser et la perfectionner à l’avance, afin qu’elle soit radicalement différente de la médiocre paix d’antan.
Tino Ranieri
Jeune Cinéma n°1, septembre-octobre 1964
1. Venise 1944. Après le débarquement des troupes alliées en Sicile le 10 juillet 1944, le coup d’État du 25 juillet 1943, et l’armistice de Cassibile du 8 septembre 1943, la Résistance prend forme en Vénétie. Dans les montagnes, les partisans s’organisent. En ville, le Comité de Libération nationale qui groupe les représentants des partis antifascistes clandestins a pour double tâche de préparer l’insurrection armée et d’établir les bases de la future démocratie italienne. Mais si sur le plan politique, ils sont susceptibles, par leurs divergences même, de jouer un rôle décisif, l’action directe et violente les effraie par le chaos qu’elle provoque et les représailles qu’elle entraîne. De cette action sont chargés les GAP, groupes restreints qui s’ignorent les uns les autres, et ne sont reliés au CLN qu’à travers leur chef. En principe, ils suivent les directives du CLN, mais il leur arrive d’improviser leur action en fonction des seules circonstances.
Le "terroriste" du film, connu sous le nom de "l’ingénieur", est le chef d’un de ces groupes.
Cf. aussi :
* Gianfranco De Bosio : "Pour provoquer une réflexion…" (Marly, juillet 1964), Jeune Cinéma n°1, septembre-octobre 1964
* "Il terrorista : découpage", Jeune Cinéma n°1, septembre-octobre 1964
Un homme seul dans les ruelles et sur les quais de Venise, grise, humide ; de longs itinéraires discrets. Cette mobilité féline du combattant secret, elle est celle de Gian Maria Volonté.
Entre un acte de sabotage et un rendez-vous clandestin, il se faufile jusqu’à celle qui l’attend, patiente, attentive, Anouk Aimée. Les soins apportés à la description inattendue de cette ville singulière, à l’observation de ce clandestin si présent, à la douce atmosphère de la rencontre des deux amants trop séparés, continuent d’impressionner cinquante ans après leur découverte.
Et on n’oublie pas les discussions du comité de la Résistance, composé d’un représentant de chaque parti, de la droite à l’extrême gauche. Ils réagissent, chacun avec leur différences, aux actions terroristes menées contre l’armée nazie et les fascistes italiens, mais aussi aux décisions et unions qui prépareront l’avenir. Prévoir l’action politique de l’époque - vingt ans plus tard - à laquelle se réalise le film.
Mais se superposent, dans le souvenir, des images hors film : celles, au début des années 60, de Jean et Ginette Delmas et de Andrée Tournès présentant et discutant leurs choix de films dans les stages de la Fédération Jean-Vigo des Ciné-clubs de Jeunes, à l’Institut national de la Jeunesse et de l’Éducation populaire de Marly-le-Roi.
C’est là que le film de Gianfranco De Bosio nous fut présenté pour la première fois, en avril 1964 (il ne sortit en salles qu’un an plus tard), avant d’être longuement traité dans le premier numéro d’une revue d’avenir, Jeune Cinéma.
Cinq décennies plus tard, il est agréable de constater que le film est encore présent dans ses colonnes. Manière plaisante de refermer la boucle et d’en ouvrir une autre.
Jean-François Camus
Jeune Cinéma n°361-362, automne 2014
Le Terroriste (Il terrorista). Réal, sc : Gianfranco de Bosio ; sc : Luigi Squarzina ; ph : Alfio Contini ; mont : Carlo Colombo ; mu : Piero Piccioni. Int : Gian Maria Volonté, Anouk Aimée, Philippe Leroy, Giulio Bosetti, Raffaella Carrà, José Quaglio, Carlo Bagno (France-Italie, 1963, 100 mn).