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Platoon (1986)
de Oliver Stone
publié le mercredi 25 juillet 2018

par Bernard Nave
Jeune Cinéma n° 181, mai-juin 1987

Sélection de la Berlinale 1987

Sortie le mercredi 25 juillet 2018


 


Fort de son succès public aux États-Unis (1), Platoon arrive en France présenté comme le premier vrai film sur la réalité de la guerre du Vietnam. Effet du dossier de presse pour enfoncer le clou de l’authenticité, personnalité de Oliver Stone porteur d’un projet difficile à réaliser, tout concourt à en faire un événement.

L’argument, égréné à longueur de pages, de journaux télévisés ou radiophoniques, va situer Platoon par rapport aux principaux films déjà faits sur la guerre du Vietnam. Il y a gros à parier que les impératifs médiatiques de la sortie du film ont oublié certains petits films qui à l’époque, dans le feu de l’action, avaient été pour nous des révélations, des chefs-d’œuvre du cinéma documentaire engagé.
Qui aujourd’hui se souvient de Winter Soldier (2), de Hearts and Minds (3) qui, alors, ont agi presque autant sur la conscience américaine que Platoon maintenant ?


 

Comme Chris, son personnage principal, Oliver Stone a vécu la guerre du Vietnam en plongeant dans une aventure qu’il croyait être juste et salutaire. Cette connaissance directe de la réalité du conflit transparaît dans la mise en scène, réaliste, ou pourrait presque dire hyper réaliste.
Envoyé près de la frontière avec le Cambodge en 1967, il a subi les combats les plus féroces et aucun détail ne nous est épargné. La fatigue des marches dans une nature hostile, l’usure physique et morale des hommes vivant constamment sur les nerfs, tout cela est rendu de manière très directe. Même si la reconstitution fait appel à tous les effets techniques du cinéma d’aujourd’hui, Oliver Stone atteint une vérité parfois hallucinante.


 

Le réalisme écorché de bon nombre de séquences correspond à un point de vue moral sous-jacent qui devient de plus en plus évident au fur et à mesure que se multiplient les situations qui impliquent des choix personnels chez les soldats.
Face aux atrocités, les hommes sont amenés à se déterminer d’autant plus clairement qu’ils sont menés par deux sergents aux attitudes antinomiques : Elias, le hippie qui refuse les exactions, et Barnes, le baroudeur balafré qui trouve dans la violence une sorte de stimulant. Pris dans ce maëlstrom, Chris est saisi de dégoût mais cherche aussi à comprendre les comportements de ceux qui l’entourent et qui finissent par toucher à l’irrationnel.


 


 

La vision de la guerre du Vietnam que nous offre Oliver Stone fourmille de notations justes, que le cinéma de fiction avait peu montrées : la place des soldats noirs, la drogue, la confusion morale, la barbarie, mais aussi l’impuissance des Américains à comprendre la nature de cette guerre, ce qui explique leur désarroi. Il a le sens de l’efficacité de l’image et il lui suffit de quelques plans pour nous faire sentir l’implication de la guerre sur ceux qui l’ont vécue.


 

Platoon est aussi conçu comme un itinéraire de l’innocence à l’expérience chez Chris, thème très américain qui explique sans doute pourquoi le film connaît un tel succès aux États-Unis.

Mais c’est aussi à ce niveau qu’il recèle de nombreuses ambiguïtés, dont avant tout celle de ne pas prendre plus de recul plus de vingt ans après.
Une vision aussi réaliste de la guerre peut être dérangeante sur le moment, elle l’est moins aujourd’hui, si ce n’est dans l’attente frustrée d’un point de vue du réalisateur qui dépasserait la simple chronique.


 

Celui-ci ne vient qu’à la fin, même si, au cours du film, la voix off de Chris émet quelques remarques sur la nature de cette sale guerre. Les derniers mots d’un film peuvent être très importants. Ici, ils le font carrément basculer dans l’ambiguïté. Dans l’hélicoptère qui l’extrait du bourbier sanglant, Chris reconnaît avoir eu deux pères dans cette expérience, Elias et Barnes.
Cet unanimisme qu’on retrouve dans la dédicace finale à tous les morts de cette guerre me paraît être une forme de démission là où le film appelait un choix plus franc.
Certains à l’époque ont su choisir leur camp, ce fut à leur honneur.

Bernard Nave
Jeune Cinéma n° 181, mai-juin 1987

1. À la cérémonie des Oscars 1987, Platoon a obtenu les Oscar du meilleur film, du meilleur réalisateur, du meilleur son, et du meilleur montage

2. Vietnam Veterans Against the War (VVAW), Winter Soldier, documentaire collectif (1972).
En février 1971, un mois après les révélations du massacre de My Lai et au moment du procès du lieutenant William Calley, à Détroit, Mich., des vétérans du Vietnam, après une publication d’appel à témoins, ont organisé et filmé une enquête sur les crimes de guerre commis par les forces américaines au Vietnam. Plus de 125 anciens combattants ont témoigné des atrocités qu’ils avaient vues ou commises. John Kerry notamment y a participé.
Aux États-Unis, l’événement a été suivi par des équipes de presse et de télévision, mais le film a été contesté et n’a pratiquement pas été diffusé, étouffé jusqu’en 2005.
En Europe, Winter Soldier a été présenté à la Berlinale 1972, 22e édition (23 juin-4 juillet 1972). Il a été repris à Berlin plusieurs fois : en 1990 ("Forum"), en 2004 ("Retrospective"), en 2008 ("Berlinale Topics : War at Home").

3. Hearts and Minds de Peter Davis (1974). Sélection du Festival de Cannes 1874. Oscar du meilleur documentaire à la cérémonie des Oscars 1975, 47e édition.

Platoon. Réal, sc : Oliver Stone ; ph : Robert Richardson ; mont : Claire Simpson ; mu : Georges Delerue. Int : Tom Berenger, Willem Dafoe, Charlie Sheen, Forest Whitaker, Francesco Quinn, Richard Edson (USA, 1986, 115 mn).



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