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Aventuriers (les) (1967)
de Robert Enrico
publié le mercredi 1er août 2018

par Luce Vigo
Jeune Cinéma n° 22, avril 1967

Sorties les mercredis 12 avril 1967 et 1er août 2018


 


Après Les Grandes Gueules, Robert Enrico portait en lui un projet qui pesait lourd sur son cœur, parce qu’il voulait le réaliser à tout prix et ne se heurtait qu’à des difficultés, des oppositions. Des mois ont passé, les difficultés, les oppositions ont dû s’aplanir car ce projet entêtant est devenu une réalité éclatante, Les Aventuriers.

C’est un film inclassable.
Mais pourquoi le classer, au risque de l’appauvrir, quand ce qui frappe le plus, c’est sa richesse, richesse de couleurs, de tonalités, de thèmes. On retrouve, dans Les Aventuriers, la maîtrise de l’auteur des Grandes Gueules, mais aussi et surtout les promesses mûries du réalisateur de La Rivière du hibou et de La Belle Vie.


 


 

Les Aventuriers est-il un film âpre, comme le suggèrerait son titre ?
Oui, dans la mesure où il montre des échecs cuisants ; dans la mesure où l’ombre de la guerre est plus qu’un souvenir persistant, nous éclate au visage un flash-back congolais, en des images décolorées, rapides mais violentes ; dans la mesure où le bruit de la guerre nous assourdit par l’explosion de munitions oubliées de la dernière - et encore meurtrières. Le film est âpre aussi par la satire d’une certaine société, caricaturée dans une scène de vernissage extraordinaire, dans la peinture sévère de quelques adultes ; âpre dans le refus des personnages de s’attendrir sur la disparition de ce qui donnait un sens, un but à leurs vies.


 

Ils sont trois, un homme, un garçon et une fille, qui ont perdu leur rêve. Finies les prouesses aériennes pour Alain Delon, volatilisé la réalisation du phénoménal dragster de Lino Ventura avec le retrait de sa licence, ridiculisés les mobiles arrachés au métal du cimetière de voitures de Joanna Shimkus. Très disparates d’aspect et d’humeur, mais liés d’abord par un même sens de l’humour, de la fantaisie, du risque, ils se construisent un nouveau rêve.


 


 


 


 

Ils acceptent de partir tous les trois à la recherche d’un trésor perdu en mer, sur l’instigation de gens responsables déjà du retrait de la licence de Delon, des gens sans scrupules et qui ont appris, comme certains Européens en Afrique, à faire tirer par les autres les marrons du feu.
Nous retrouvons nos trois amis, ancrés au large de la côte d’Afrique, cherchant ce trésor enfoui dans la carcasse d’un avion, et qu’ils trouvent grâce aux précisions d’un ancien du Congo (Serge Reggiani), réduit à un rien du tout en loques et qui n’est pas là par hasard.
Devenus riches, ils partagent équitablement l’argent et les bijoux, tout ce qui reste d’un homme qui a fui le Congo en hâte pour aller mourir au fond des eaux. Mais à partir de là, rien ne va plus. D’autres, qui attendaient la récupération de cette fortune, veulent monter à bord, des coups de feu sont tirés et la fille est tuée.


 


 

L’histoire aurait pu s’arrêter là, sur la très belle et poignante image de l’immersion du scaphandre devenu sarcophage. Mais nous aurions été privés du sens profond du film, déjà pressenti par tout ce qu’il recèle de tendresse dès le début. Car, oui, c’est un film âpre, féroce même par certains côtés, et qui se termine en film policier classique (dans un cadre qui, lui, l’est moins). Mais c’est surtout, et plus encore, un film tendre.


 

L’amitié y est dépeinte sous son aspect le plus pur, le plus délicat. Le plus insolite aussi peut-être, car l’amour n’en est pas absent, mais il sait se taire de plusieurs façons. La jeune fille, seule, rompt ce silence, mais peu de temps avant de mourir et de telle manière que l’amitié qui unit ces trois êtres demeure et se prolonge jusqu’à la mort de l’un, jusqu’à la mort de l’autre, jusqu’à la fin du film.
Toute l’émotion que nous donne Enrico, est faite d’enthousiasme, de pudeur, d’idéalisme, auxquels se mêle un sens aigu de la réalité. Certaines valeurs fragiles et précieuses, viennent de ce que ses aventuriers ont gardé leur âme d’enfants malgré les moyens d’adultes dont ils disposent.


 


 


 

Les deux hommes partent à la recherche d’éventuels parents de leur amie morte, une patiente quête que leur fidélité à l’être aimé a rendu impérieuse. C’est la rencontre d’un petit gardien de musée en culottes courtes qui donne au film sa véritable signification.
Écœurés par les parents du garçon, ils s’apprêtent à repartir, renonçant ainsi au but de leur long voyage. Quand ils se rendent compte de sa ressemblance avec leur amie, Ventura et Delon se retrouvent alors en cet enfant, dont ils feront l’héritier de la jeune fille.
La fin du film est belle, mouvementée, moins originale. Mais elle n’enlève rien à cet hommage que Robert Enrico semble rendre à l’amitié, à ceux qui veulent vivre l’aventure comme on la rêve à 10 ans, avec un cœur généreux et sans calcul.

Luce Vigo
Jeune Cinéma n° 22, avril 1967

Les Aventuriers. Réal : Robert Enrico ; sc : Robert Enrico, Pierre Pelegri et José Giovanni d’après son roman ; ph : Jean Boffety ; mont : Jacqueline Meppiel ; mu : François de Roubaix. Int : Alain Delon, Lino Ventura, Joanna Shimkus, Serge Reggiani, Paul Crauchet (France-Italie, 1967, 112 mn).



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