par Alain Virmaux
Jeune Cinéma n° 280, février 2003
Frédéric Sojcher, Main basse sur le film, éd. Séguier, 2002.
Ce journal-récit d’un tournage mouvementé captive de bout en bout. Est-ce - comme l’écrit Bertrand Tavernier dans une préface très enlevée - parce qu’il est formidablement révélateur des "turpitudes humaines" ? En tout cas, il met à mal la vieille légende de la "grande famille" du cinéma, où tous s’embrassent et se congratulent sans fin.
Déjà La Nuit américaine avait obligé à dépasser cette image toute faite, mais les conflits internes que dévoilait le film de François Truffaut restaient mineurs et s’apaisaient sans trop de casse. Frédéric Sojcher a raison de citer plutôt Ennemis intimes, le documentaire où Werner Herzog évoque sa relation conflictuelle chronique avec Klaus Kinski (cinq films ensemble). Si François Truffaut est tout de même mentionné, ce n’est pas pour La Nuit américaine, mais pour son journal de tournage de Fahrenheit 451, parce que le réalisateur y relate sans fard la guerre permanente qu’il eut à mener contre son acteur-vedette, Oskar Werner.
Dans Main basse sur le film, et bien que l’histoire soit véridique (ou présentée comme telle), les noms ne sont pas donnés. Pour une raison simple, mais pas seulement : on croit comprendre, à la dernière page, que certaines procédures sont encore en cours. Par-delà cette précaution juridique, Frédéric Sojcher évite avec soin tout ce qui s’apparenterait à un règlement de comptes. Il ne charge pas ses opposants et va jusqu’à reconnaître sans difficulté ses propres erreurs et maladresses.
Toujours est-il qu’une bonne partie de l’équipe de tournage s’était liguée contre lui, et fit en sorte de l’exclure peu à peu d’un film dont il était le réalisateur désigné, le co-scénariste et surtout l’auteur du sujet original.
Motif plus ou moins avoué de l’éviction : l’incompétence prétendue de l’intéressé, dont c’était le premier long métrage, mais qui avait signé auparavant plusieurs courts métrages. À défaut d’un vote, il y eut consentement, sinon unanime, du moins majoritaire, à une mise à l’écart de facto.
Quant à la production, elle se rangea - peu glorieusement - du côté de ceux qui semblaient les plus forts, quitte à virer de bord par la suite quand les vents tourneront. Dans une des postfaces, Bruno Podalydès pose crûment la question : le tournage d’un film peut-il obéir à la loi du nombre ?
D’une manière inattendue, l’affaire prendra fin sur un quasi happy end, et le réalisateur finira par récupérer son film, à force de patience et de ténacité.
Ce dénouement a incité un commentateur à suggérer que le livre fasse l’objet d’une adaptation à l’écran. Dans cette hypothèse, le personnage du traître, du faux-frère pourrait à la rigueur être tenu par celui qui est ici appelé "l’acteur principal" et qui tenait justement un peu ce rôle-là, si l’on a bien compris, dans le film chahuté. Lorsque apparaît le malaise et que se précise le conflit entre l’équipe et le réalisateur, cet acteur joue les médiateurs, les conciliateurs, les apaiseurs. Avant de s’employer, avec une froide duplicité, à reprendre entièrement le film à son compte, poussant le cynisme jusqu’à réaménager radicalement l’intrigue et à faire déposer un exemplaire de "son" scénario à la Société des auteurs…
Bien entendu, nous ne disposons que d’une seule version des faits, et l’auteur admet, revendique, même, son inévitable subjectivité, d’autant qu’il a vécu un vrai cauchemar : banni, rejeté de tous, n’étant plus soutenu que par sa femme. Sans forcément entrer dans toutes ses raisons - est-il vrai que "le besoin d’un bouc émissaire semble inhérent à la dynamique de groupe ?" - on lui sait gré de n’être pas plus amer, et de conter avec mesure, sans élever la voix, une aventure qui ne fut sûrement pas la première de ce modèle.
Alain Virmaux
Jeune Cinéma n° 280, février 2003
Frédéric Sojcher, Main basse sur le film, préface de Bertrand Tavernier, postface et propos de Jean-Claude Batz, Alain Berliner, Maria de Medeiros, Bruno Podalydès, Paris, éd. Séguier, 2002, 260 p.