A Brighter Summer Day, film-fleuve de Edward Yang, un des maîtres, avec Hou Hsiao Hsing, du nouveau cinéma taïwanais, qui ressort en salle cet été en une version en 4K effectuée par la Fondation Martin Scorsese, nous est livré dans son montage et métrage d’origine. (1)
L’œuvre, la quatrième de son auteur, date de 1991, et était en effet d’une longueur telle (de quatre heures, à deux minutes près) que celui-ci avait dû la raccourcir d’un quart pour pouvoir la diffuser en Occident - en Orient, la conception du spectacle obéit à d’autres normes.

L’action se situe à Taïpeh en 1960. A Brighter Summer Day reconstitue cette période en soignant les décors, les vêtements, les coiffures, les objets et autres accessoires. Le sujet s’inspire d’un fait divers (le meurtre, apparemment gratuit, d’une jeune lycéenne par son boyfriend) autant que des souvenirs personnels du réalisateur - né à Shanghaï en 1947, celui-ci avait l’âge du protagoniste.

L’émigration massive provoquée par la révolution chinoise de 1949 a soulevé des problèmes d’adaptation, pour les adultes comme pour les enfants, dans les îlots non communistes de la région. C’est ce que montre le film, à travers l’histoire particulière d’une famille. Les parents souffrent de l’exil ainsi que du déclassement et tentent tant bien que mal d’assurer la pérennité des valeurs confucéennes, au premier chef, celles de l’éducation.

Pour les enfants, l’école est le lieu de conflits entre bandes rivales - ici, il ne s’agit pas des Jets et des Sharks, mais des membres du Little Park Gang et de ceux du 217. Ils ont leurs chefs, leur hiérarchie, leurs territoires, leurs filles. La violence n’a rien de symbolique ou de virtuel : les armes circulent et l’on en fait usage. Un des leaders, surnommé Honey, est d’ailleurs accusé d’homicide.

S’ils prolongent le jeu de la lutte armée, les adolescents cherchent à imposer aussi leurs goûts en matière de repos du guerrier. Leurs distractions sont toutes orientées vers le rêve américain : ils lisent des comics, sont friands de pin-ups et de revues genre Playboy, vont au ciné pour des westerns, autant que possible avec John Wayne. Ils sont, comme sur la planète entière, fans de rock’n roll. Nos héros écoutent Elvis, dont ils apprennent phonétiquement les textes, à l’aide de magnétophones à bande ; ils forment des orchestres et donnent des concerts.

Cette américanophilie triomphante, on la retrouve ironiquement dans le titre du film qui se réfère grosso modo au premier couplet de la chanson du King, Are You Lonesome Tonight ("Does your memory stray to a brighter sunny day...").

Le film, tourné dans les rues de Taïpeh et en studio, est remarquable par ses scènes nocturnes, qui contribuent à une certaine opacité narrative - les ellipses surprenantes, comme quelques digressions, n’aidant pas à sa compréhension.

La longue séquence sur l’arrestation et l’interrogatoire du père du héros par la police secrète (passage qui fut sacrifié dans la version courte) a au moins le mérite de montrer la dictature militaire qui régnait à cette époque à Taïwan.

Les scènes se déroulant dans le studio de cinéma où l’on tourne un navet à moindres frais permettent au cinéaste de jouer les Fellini.
L’image couleur au ratio 1,85 signée Hui Kung Chang et Longyu Zhang renforce l’aspect claustrophobique des lieux, réduit l’espace au labyrinthe des rues, à des impasses, à de fausses pistes. Le champ est une géométrie de cases elles-mêmes subdivisées, une saturation de détails. Les scènes dans l’appartement familial sont filmées caméra au plancher. On y sent l’influence d’Ozu.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Le film a été présenté, en version restaurée, au Festival de Cannes 2009 dans la section Cannes Classics.

Une belle journée d’été (aka A Brighter Summer Day ) (Gu ling jie shao nian sha ren shi jian). Réal, sc : Edward Yang ; sc : Hunh Hung, Lai Mingtang, Alex Yang ; ph : Huigong Li, Longyu Zhang ; mont : Bo-Wen Chen. Int : Chang Chen, Lisa Yang, Zhang Guozhu, Elaine Jin (Taiwan, 1991, 237 mn).