par Sandra Marti
Jeune Cinéma n° 257, septembre-octobre 1999
Sorties les mercredis 23 juin 1999 et 8 août 2018
Loin des films de Kitano que le spectateur a eu l’occasion de découvrir ces dernières années - Violent Cop (1989), Jugatsu (1990), Sonatine (1993), Kids Return (1996), Hana-Bi (1997) - A Scene at the Sea marque une exception dans la carrière du réalisateur. En effet, pour la première fois, le cinéaste dévoile un monde sans violence, un monde poétique, bercé par la musique de Joe Hisaishi, qui donne au récit une dimension atemporelle. L’écriture fluide, et tout à la fois répétitive, de la partition musicale épouse l’inspiration du metteur en scène, qui jalonne son histoire des petites choses de la vie.
Avec ses plans minimalistes construits autour de lignes horizontales (tout le film est ponctué d’images montrant Shigeru et sa petite amie longeant quotidiennement le muret que surplombe la ligne d’horizon), Kitano installe le spectateur dans un faux rythme monotone (réitération d’un cadrage identique des lieux avec les mêmes ou d’autres protagonistes) et surprend au détour d’une action en changeant un élément qui déclenchera le rire - par exemple, quand la petite amie de Shigeru descend sur la plage et, par habitude, plie les affaires de son fiancé avant que l’on ne s’aperçoive que ces affaires ne sont pas les siennes.
À travers le héros et son amie, tous les deux sourds et muets de naissance, Kitano fait découvrir un autre aspect de sa sensibilité et de son talent - que l’on retrouvera avec toute sa générosité dans Hana-Bi - et c’est l’occasion pour lui de lancer un défi au public qui avait boudé ses deux premiers films.
Avec A Scene at the Sea, le spectateur retrouve un peu de sa propre enfance, devient contemplatif, oublie se réalité et se laisse emporter, car Kitano sait provoquer le rire immédiat avec un rien, sans un mot, l’économie de moyens et le raccourci renforçant encore la force de la situation.
En choisissant de s’éloigner de l’univers bavard dans lequel il évolue à la télévision et de traiter sans dialogue, avec des inconnus pour protagonistes, l’histoire de deux sourds bien loins des histoires de mafia, Kitano décide d’aller encore plus loin dans le contre-pied.
Sandra Marti
Jeune Cinéma n° 257, septembre-octobre 1999
A Scene at the Sea (Ano natsu, ichiban shizukana umi). Réal, sc, mont ; Takeshi Kitano ; ph : Katsumi Yanagishima ; mu : Joe Hisaishi. Int : Claude Maki, Hiroko Oshima, Sabu Kawahara, Nenzo Fujiwara (Japon, 1991, 101 mn).