par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n° 287, janvier-février 2004
Michel Ciment, Fritz Lang. Le Meurtre et la Loi, Paris, Gallimard, 2003.
L’étude de Michel Ciment se compose de deux parties précédées d’une ouverture inusitée : dix photos pleine page montrant Fritz Lang en gros plan, dirigeant ses acteurs. Un ensemble copieux (80 pages) suit le cours de sa vie et de sa carrière qu’ont modifiées les turbulences de l’histoire allemande, puis mondiale. La dernière partie comporte ses textes et de ses collaborateurs, et une filmographie.
Le premier chapitre s’intéresse au vécu du jeune Fritz Lang, à l’héritage de la culture viennoise, à son goût pour l’architecture et la peinture, celle de Egon Schiele en particulier, au butin rapporté de ses voyages, à l’état de la société allemande entre les deux guerres qu’un dictateur va bouleverser.
Michel Ciment souligne la supériorité de la Prusse sur l’Autriche, y relie le départ pour Munich, puis Berlin, ce qui entraîne la rencontre avec Joe May et Erich Pommer. Très évident, le sens d’une coupure symbolisée par le détail d’un tableau de Egon Schiele, une main où s’opposent en ciseau quatre doigts, reprise dans l’autoportrait de la page 10. La démarche du critique correspond au parcours baladeur du jeune Fritz Lang et en rien au chapeau qui coiffe cette étude. Ce chapeau donne une limite d’âge, 24 ans, souligne les plaisirs de l’imaginaire et assigne à la guerre mondiale l’origine de son pessimisme.
Si on examine le chapitre 4, le chapeau désigne le laps de temps entre 1940 et 1956, quand s’opère l’intégration à Hollywood, quand s’ouvre l’accès aux genres, quand commence le dépouillement du style ; puis s’amorce un certain désenchantement face au matérialisme de la société. Ce chapitre suit l’ordre chronologique avec la découpe des genres : westerns, films anti-nazi, films noirs. Or un flash forward inclut dans les westerns Rancho Notorious, filmé bien après et on ne saisit pas bien le genre des films anti-nazi.
Ce qui compte, c’est la persistance, chez Michel Ciment, de l’intérêt pour la thématique allemande. Le chapitre s’étend sur l’intégration de Fritz Lang au groupe des exilés, ses rapports avec le groupe des Viertel, signalant l’aide apportée à Bertolt Brecht encore coincé en Finlande menacée par l’invasion de la Norvège. Une référence à Karl May et à ses romans d’aventure s’insinue dans l’étude des westerns ; puis, dans celle des Bourreaux meurent aussi, il insiste sur l’éviction de Bertolt Brecht au générique du film.
Michel Ciment suit les méandres d’une vie dans sa confusion, ses distinctions, ses contradictions et c’est une des joyeuses surprises du livre. La surprise est démultipliée quand le lecteur sérieux revient sur les tout petits caractères qui commentent en roue libre les photos, riches et nombreuses.
Et ainsi se déroule un mini-texte pas toujours rattaché au thème de la photo. La merveilleuse double page 24-25 représente le bureau de Fritz Lang et de Thea von Harbou caressant leurs chats, avec son décor kitsch surchargé d’exotisme - une photo, sans doute publicitaire, fournie par les éditions Ulstein, qui éditaient Thea von Harbou.
Par ailleurs, Michel Ciment donne la date de la photo, qui est aussi celle du mariage, et signale chez elle le goût des romans d’aventures.
Une autre surprise à découvrir s’offre à la page 28-29. À l’instar du personnage Fritz Lang et de ses créatures, l’universitaire Michel Ciment laisse entrevoir l’ombre de son double.
Andrée Tournès
Jeune Cinéma n° 287, janvier-février 2004
Michel Ciment, Fritz Lang. Le Meurtre et la Loi, Paris, Gallimard, coll. Découvertes n° 442, 2003, 128 p.