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Nimier, Roger (livre)
Variétés (2003)
publié le jeudi 11 août 2016

par Pascal Manuel Heu
Jeune Cinéma n° 289, mai-juin 2004

Roger Nimier, Variétés. L’air du temps (1945-1962), textes choisis et présentés par Marc Dambre, Paris, Arléa, mars 2003.


 


Nous autres cinéphiles ne pouvons que nous réjouir que Marc Dambre, responsable d’une sélection d’articles de Roger Nimier publiée l’année dernière, ait retenu trois textes sur le cinéma, alors que l’écrivain et journaliste, figure de proue du mouvement des "Hussards", ne fut jamais vraiment un critique de films régulier.

Le premier, paru en mars 1952 dans l’hebdomadaire Carrefour, pour lequel Nimier tint par intérim la chronique de cinéma, est un compte rendu assez classique d’un film de Carol Reed (Le Banni des îles) : résumé, comparaison avec le roman de Joseph Conrad, puis avec le film le plus célèbre de Reed (Le Troisième Homme), propos sur les acteurs, jugement esthétique.
Retenons-en surtout une phrase, "Un jour, un garçon ingénieux inventera le cinéma muet", qu’aurait pu reprendre à son compte Robert Bresson, lui qui déclara (je cite de mémoire) : "Si le cinéma était né en Cinémascope, l’écran normal aurait été une grande invention".

La même nostalgie pour l’âge d’or du cinéma muet se retrouve dans le second, l’éloge des Lang, Eisenstein, Clair des années 1920 répondant à la stigmatisation des cinéastes de 1954, incapables de réaliser autre chose que du "roman photographié", après avoir servi du "théâtre photographié". "De quoi souffre le cinéma ? de bêtise", va jusqu’à titrer Nimier, au risque de passer pour cinéphobe.

Le plus savoureux est de loin le troisième, "Festival de quartier" (1), compte rendu d’une semaine vénitienne où les jugements de Nimier contredisent allègrement les réputations. "Rien n’est plus insipide que cette succession d’interrogatoires", écrit-il par exemple à propos de Anatomie d’un meurtre, où "le gentil James Stewart pratique deux attitudes : les coups de poing sur la table et les regards en dessous". Quant à Ingmar Bergman, il a, bien entendu, écrit "le scénario le plus original". Il en fera soixante encore, comme cela".

Cela est bel et bon, mais le bilan demeurerait assez maigre si l’index, établi par nos soins, des noms et titres relatifs au cinéma cités par Roger Nimier, dans l’ensemble des textes du recueil, ne prouvait que l’intérêt du romancier pour le cinéma était suffisamment grand pour transparaître dans nombre de ses écrits journalistiques.
Sans doute l’importance sociale qu’il revêtait dans les années 1950-1960 était-elle devenue si forte que les références au cinéma étaient monnaie courante dans la presse de l’époque.
Toutefois, dans le cas de Nimier, cet intérêt fut loin d’être anecdotique dans son œuvre, comme l’a montré Philippe d’Hugues dans deux études assez complètes quoique brèves (2). Il fut au contraire persistant et prit divers aspects. La forme la plus "noble" en est bien sûr sa participation à l’écriture de scénarios, la collaboration avec Louis Malle étant la plus célèbre (Ascenseur pour l’échafaud). Mais de nombreuses remarques et réflexions éparses de Nimier sur le cinéma, et non pour le cinéma, peuvent être glanées dans toutes sortes de textes que cette édition de poche rend très abordables. (3)

Contentons-nous de signaler les plus récurrentes.
D’abord une attention particulière aux acteurs, surtout les artistes féminines pour tout dire. Elle donne lieu à deux beaux portraits de Marlène Dietrich, dont Nimier loue la "voix faite de cendres chaudes et de larmes cristallisées" (à la faveur du passage de "Mlle Dietrich" à l’Olympia en 1962), et de Arletty, dont la beauté sur scène en février 1962 "fait pâlir les étoiles" : "Marie-Aline Monroe [sic !] n’est plus qu’une excroissance de bonne humeur sur fond de bouillie lactée. Brigitte Bardot, un gentil petit chiffon un peu dodu. Sarah Bernhardt, un nasillement charbonneux".
Les acteurs ne sont toutefois pas en reste, Nimier les convoquant par exemple pour définir "le Dom Juan ténébreux", "intermédiaire entre Rudolf Valentino et Jean Marais".

L’autre principale caractéristique du discours de Nimier sur le cinéma est d’être inspiré par l’idée que le spectateur se projette dans ce qu’il voit sur le grand écran, et qu’en retour, sa vie en est influencée. Ainsi, le cinéma est-il "bienfaisant", en donnant "aux spectateurs des deux sexes l’idée d’être amoureux, puisque des personnes aussi considérables que Lauren Bacall, Anna Magnani ou Trevor Howard le sont continuellement" (1952).

Nimier, qui, en 1954, classe le cinéma parmi "les industries qui veulent nous garder éveiller", décrit également le succès de "la pellicule de cellulose", "produit chimique qui vaut l’anisette, pour bercer l’ennui des légionnaires", mais aussi pour constituer "le film imaginaire" de tel ou tel lieu, pour ceux qui n’y ont jamais mis les pieds. Car c’est somme toute comment le cinéma en est venu à faire partie de l’imaginaire d’une société et de "l’air du temps" qu’au fil d’une lecture constamment plaisante nous invite à découvrir Variétés.

Pascal Manuel Heu
Jeune Cinéma n° 289, mai-juin 2004

1. Arts, 9 septembre 1959.

2. Philippe d’Hugues, "Roger Nimier spectateur", Cahiers Roger Nimier, n°5, 1987, p. 16-19 (suivi d’un choix de critiques de Roger Nimier, dont certains ne sont pas repris dans le recueil Variétés) ; "Roger Nimier au temps de la ’caméra-stylo’", Roger Nimier quarante ans après Le Hussard bleu, actes du colloque international organisé par l’Association des Cahiers Roger Nimier et la Bibliothèque nationale de France, 1990, p. 231-240. Nous remercions Philippe d’Hugues de nous avoir communiqué ces deux textes.

2. Cette diversité des interventions de Nimier sur le cinéma rejoint celle des supports de presse ayant accueilli ses articles : Opéra, Elle, Nouveau Fémina, Arts, Nouveau Candide, etc.


Roger Nimier, Variétés. L’air du temps (1945-1962), textes choisis et présentés par Marc Dambre, Paris, Arléa, mars 2003, 280 p.



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