par Philippe Piazzo
Jeune Cinéma n° 216, juillet 1992
Sélection de la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes 1992
Sorties les mercredis 10 mars 1993, 15 août 2018 et 8 janvier 2020
Moins poli, dans tous les sens du terme, que son film précédent (King of New York,) cette nouvelle descente aux enfers signée Abel Ferrara a visiblement été tournée dans un état second, ce qui lui confère un étrange statut.
Non pas film sur la drogue, mais film-junkie.
Non pas film sur un flic désaxé, mais film réellement déglingué.
Non pas film sur la rédemption, mais film-hostie qui cherche à dire tout sur tous les péchés, sans pouvoir émettre autre chose qu’un long hurlement plaintif, assez proche du "désespoir effrayant" de Isabelle Adjani, face à la croix ironique de Possession (1).
Harvey Keitel surpasse tout ce qu’on a pu voir depuis longtemps au cinéma sur les limites d’un acteur.
Ici, il n’en a (presque) pas, même celles du bon goût. Ce qui, pour être parfois gênant, est finalement heureux. Imposant sa nudité, ses muscles lourds, sa folie sans attaches, son malaise définitivement installé, Keitel hisse le film au-delà de son prétexte.
Quand Abel Ferrara retombe dans les travers exhibitionnistes à deux sous de ses premiers films (ici, le viol d’une religieuse), Keitel paye de sa personne.
Le film y gagne une grâce singulière, une auréole sale, celle de l’impiété et de la profanation.
Entrer véritablement dans ce film (ce que peu de gens - à Cannes, personne - aimeront faire), c’est chercher à se perdre, sans restrictions.
Philippe Piazzo
Jeune Cinéma n° 216, juillet 1992
1. Possession de Andrzej Zulawski (1981).
Bad Lieutenant. Réal, sc : Abel Ferrara ; sc : Zoé Lund ; ph : Ken Kelsch ; mont : Anthony Redman ; mu : John Delia. Int : Harvey Keitel, Frankie Thorn, Anthony Ruggiero, Victor Argo (USA, 1992, 96 mn).