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Pornographe (le) (2001)
de Bertrand Bonello
publié le dimanche 21 septembre 2014

Par René Prédal
Jeune Cinéma n°271, novembre 2001

C’est le portrait d’un cinéaste en père abandonné, époux démissionnaire et pornographe dépossédé de son œuvre.

Cela fait beaucoup, surtout si l’on ajoute en contrepoint le retour du fils qui se cherche entre le front du refus et le choix de fonder une famille sur fond de campagne printanière !

Le fait que Jean-Pierre Léaud incarne le personnage vieillissant aurait pu constituer un handicap supplémentaire, mais se révèle assez vite au contraire comme le coup de génie qui brouille les pistes en distribuant le sens autrement qu’au niveau strictement scénaristique : ainsi, le montrer à la fois démolir son couple et construire seul sa maison, tout en écrivant son journal comme le curé de campagne de Bresson, instaure un véritable chaos narratif, qui écarte toute ombre de psychologisme.

Et c’est dans ces contradictions, ces mouvements inaboutis (Jacques Laurent reprenant les chemins du film X et son fils frayant le sien tout en revenant partiellement vers son père), cette manière de prendre souvent les choses et les gens à revers dans des cadrages inattendus, que s’impose un film aux rythmes musicaux, tour à tour tendu, sordide, ironique et bouleversant.

Il est intéressant que ce cinéaste d’à peine une trentaine d’années (Bertrand Bonello est né en 1968) filme du côté de la paternité plutôt que de la filiation.
Joseph (Jérémie Renier) rompt avec son groupuscule révolutionnaire muré dans un impressionnant silence d’impuissance, et la jeunesse est surtout montrée dans ses impasses radicales.
Inversement, le père connaît son chemin de Damas sur un parcours qui annonçait pourtant le renoncement à toute dignité.

On est dans un univers bressonien, cinéaste auquel Bonello emprunte beaucoup : les décalages entre la voix qui lit le journal intime, les mots écrits montrés, ou les images accompagnées en off exaspèrent, en particulier les va-et-vient entre l’esprit et la lettre.

Mais l’hommage à Léos Carax est tout aussi patent (le Pont-Neuf magnifié par ses éclairages nocturnes, Jérémie Renier se déhanchant comme Denis Lavant dans Mauvais Sang).

Tandis que l’extrait de La Comédie de Dieu, de Monteiro, dans lequel une très jeune fille en maillot nage sur la table enveloppée d’une somptueuse orchestration que semble diriger le vieil homme, atteint à l’essence d’une sexualité à la recherche de laquelle s’épuise Laurent.

Dès lors, "porno + Léaud" représente tout le cinéma et la quête du personnage devient celle-là même de Bertrand Bonello.

C’est pourquoi l’humour délicieux présidant à la chronique des tournages du début, où Léaud dirige ses stars du hard (Ovidie et Titof) comme Bresson ses modèles, dans les décors d’India Song, s’estompe progressivement pour laisser place - après quelques tunnels où s’égare un peu le regard de l’auteur - à une superbe montée en puissance, qui culmine dans l’émouvant face à face Jean-Pierre Léaud - Catherine Mouchet, tous deux dépositaires des rôles qu’ils ont interprétés auparavant.

La pornographie peut bien alors apparaître en tant que genre subversif, pratiqué dans les années 70 par un jeune soixante-huitard en mal de révolte et d’engagement.
Mais en 2001, Laurent est désavoué par son producteur sur le plateau où il doit renoncer à ses partis pris de mise en scène, en même temps que, dans sa vie sentimentale, il commet l’erreur monumentale de quitter Jeanne, sa femme.

Pourtant, il s’est libéré de quelque chose, il ne sait pas vraiment de quoi, mais il a décidé de parler pour tromper la mort.
De sa cellule monacale, près d’une nature majestueuse baignée par les sonorités d’Haendel, le cinquantenaire ventripotent à la déprime amphigourique peut désormais envisager comment finir sereinement son existence.

René Prédal
Jeune Cinéma n°271, novembre 2001

Le Pornographe. Réal, sc : Bertrand Bonello ; ph : Josée Deshaies ; mont : Fabrice Rouaud ; mu : Laurie Markovitch ; déc : Romain Denis. Int : Jean-Pierre Léaud, Jérémie Rénier, Dominique Blanc, Thibault de Montalembert, André Marcon, Catherine Mouchet, Ovidie, Laurent Lucas. (Fr /Can, 2001, 108 mn).

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