par Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma n°388-389, été 2018
Sélection de la Semaine de la critique (Grand Prix) au Festival de Cannes 2018.
Sortie le mercredi 3 octobre 2018
Anja Kofmel avait dix ans en 1992 quand son cousin, Christian Wittenberg, reporter de guerre, a été assassiné en Croatie. Elle se souvient de l’émotion suscitée par cette tragédie, et de l’admiration qu’elle avait ressentie pour ce prestigieux parent.
Chris était parti "couvrir" le siège de Vukovar, du côté des Croates. À Zagreb, il avait retrouvé d’autres journalistes, dans cette ambiance internationale des correspondants regroupés dans les grands hôtels encore debout, dans des villes détruites et désertes, cherchant à détecter les circuits de décisions invisibles et silencieux de la guerre. À Noël, sa famille l’attendait en Suisse mais il avait préféré rester avec ses camarades de front.
Le 7 janvier 1992, on avait retrouvé son corps, torturé, étranglé, près d’Osijek. Quelques jours plus tard, son ami journaliste anglais, Paul Jenks, qui enquêtait sur sa mort, avait aussi été retrouvé tué par balle.
Des années plus tard, Anja Kofmel est partie, avec sa caméra, sur les traces du héros de son enfance, en quête de vérité, à la recherche de témoins.
Et elle en trouve, des témoins, prolixes et désabusés, du fait, peut-être, de la prescription prochaine (30 ans, maintenant, pour les crimes de guerre), ou, plutôt, à cause de la mort de l’assassin en 2009.
Malgré les risques, par esprit d’aventure, par naïveté, ou par obstination professionnelle, Chris avait rallié la milice d’un certain Florès (1), et sa bande de mercenaires anti-serbes, la PIV, financée par l’Opus Dei : la Croatie, dernier rempart catholique avant les Serbes orthodoxes et les Turcs musulmans. Il les avait suivis un moment, avec un statut ambigu, portant leur uniforme tout en percevant le danger.
De cette histoire confuse, dont elle dénoue les fils entremêlés, Anja Kofmel tire un film métissé. Des séquences d’archives, des témoignages vivants, des dessins animés noirs tragiques cohabitent, comme une hésitation entre l’animation, le documentaire et la fiction, qui, en fin de compte, magnifie cette belle idée ancienne, qu’on appelle, à présent, le stop-motion. C’est le premier long métrage de Anja Kofmel.
Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma n°388-389, été 2018
1. Eduardo Florès alias Chico a continué ses exactions sur différents sites de massacres, pour finir abattu par la police bolivienne en 2009, alors qu’il projetait l’assassinat de Evo Moralès.
Chris the Swiss. Réal : Anja Kofmel ; ph : Simon Guy Fässler ; mont : Stefan Kälin ; mu : Marcel Vaid ; son : Daniel Hobi ; historien : Hrvoje Klasic (Suisse, 2018, 90 mn). Documentaire.