par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe
Sortie le mercredi 24 octobre 2018
Jeune réalisateur, dont c’est le troisième long métrage (1) mais aussi scénariste, producteur et dessinateur de BD, Carlos Vermut a du talent.
Quién te cantará joue sur le double féminin ; c’est un hommage à la femme, mais surtout à la magie de la star, qui met en scène une chanteuse imaginaire, sorte de Dalida ibérique aux costumes pailletés, évoluant dans un décor sobre et dépouillé à la Edward Hopper. Dans une lumière souvent froide et quasiment électrique et un ton narratif volontairement neutre, le film propose un portrait de femmes gigognes, sans pathos ni mélo, même si ces histoires d’amnésie, de solitude et de violence pourraient s’y prêter.
Le titre original, sous lequel le film est distribué, pourrait être traduit "Qui te chantera".
Il s’agit d’un travail de mémoire et de passation de talent, entre Lila, une star qui a perdu la mémoire et Violeta, une petite chanteuse de karaoké inconnue, qui va la remplacer peu à peu, sur scène et dans la vie - un peu à la manière du Barbara de Mathieu Amalric (2) et sa mise en abyme.
Si le film de Carlos Vermut est réussi, c’est parce qu’il refuse d’être un film citationnel ou un hommage appuyé à tout le cinéma qui le précède. Il met en scène, de façon froide mais efficace, la vie d’une diva fanée, qui, du jour au lendemain, ne peut plus chanter, ne supporte plus le poids de la célébrité, reste cloîtrée chez elle pour ne plus se produire sur scène.
Il y a aussi dans ce film, outre la vision du cinéaste sur le petit monde de la chanson et de la célébrité, tout un travail sur les ambiances, entre l’aspect solaire, presque minéral, de la maison de Lila et celui de la nuit, de Violeta dans l’obscurité du karaoké où elle interprète jusqu’à la folie les chansons de son idole.
Lorsqu’elles vont se rencontrer, aidé par la secrétaire de la diva, elles vont commencer à se ressembler de plus en plus, jusqu’à l’identification. Ce sont des relations mère-fille que le film met au jour, en termes de passion, de rivalité, voire de destruction.
Le travail de direction d’actrices est remarquable, et c’est en cela que ce film énigmatique à la beauté et au style vénéneux s’apparente à Pedro Almodovar (qui voyait dans La niña de fuego un des films les plus importants du cinéma espagnol).
Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe
1. Après La niña de fuego (2014).
2. Barbara de Mathieu Amalric (2017).
Quién te cantará. Réal, sc : Carlos Vermut ; ph : Edu Grau ; mont : Marta Velasco ; mu : Alberto Iglesias. Int : Najwa Nimri, Eva Llorach, Carme Elias, Natalia de Molina (Espagne-France, 2018, 122 mn).