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Vie et rien d’autre (la) (1989)
de Bertrand Tavernier
publié le jeudi 25 mars 2021

par Bernard Nave I et Lucien Logette II
Jeune Cinéma n°198, novembre 1989

Une sensation de plénitude et des "seconds couteaux" épatants

Sorties les mercredis 6 septembre 1989 et 31 octobre 2018


 


I. Une sensation de plénitude
 

Le sujet de La Vie et rien d’autre constitue en lui-même une originalité complète par rapport à la période dans laquelle il s’inscrit, à savoir l’immédiate après-Première Guerre mondiale.
L’histoire se situe en 1920, au moment où l’armée consacre une partie de ses forces à retrouver la trace des morts non-identifiés que les familles recherchent. Le commandant Dellaplane (Philippe Noiret) dirige ces recherches dans un monde de villages détruits, de champs dévastés, d’arbres calcinés, de boue et de mort.


 


 

Les parents s’accrochent au moindre objet qui leur est présenté pour retrouver la trace d’un fils, d’un époux, d’un fiancé. Ils forment une cohorte de petites gens pathétiques ou dérisoires, rejetés d’une histoire qui les dépasse, car l’héroïsme des grandes batailles appartient déjà au passé. L’autorité militaire se préoccupe davantage de trouver le soldat inconnu qu’il s’agit d’immortaliser sous l’Arc de triomple, pour mieux oublier les millions de morts dans l’anonymat. Dellaplane est quotidiennement confronté à l’absurde de cette situation et tente de rester lucide. Il n’en perçoit que mieux le ridicule de ses supérieurs, des maires de petits villages qui se glorifient de pouvoir aligner sur leurs monuments les fils glorieux morts pour la France.


 

Ah, le superbe moment où des édiles cherchent à annexer un hameau, car le hasard les a malencontreusement privés de héros. Les sculpteurs sont à la fête qui doivent exécuter en un temps record des milliers de monuments, une nouvelle "Renaissance" en quelque sorte. Tavernier excelle dans la description de ces personnages grotesques, retrouvant parfois la verve caustique qui faisait merveille dans Coup de torchon. (1)
Au milieu de cet univers sordide émergent cependant des figures plus humaines, celles des endeuillés qui se raccrochent au souvenir, mais aussi celles de deux femmes : une jeune institutrice qui veut encore croire que son fiancé n’est pas mort et une riche bourgeoise qui découvre qu’elle n’a jamais aimé vraiment son mari. La seconde va se laisser séduire par le cynisme de Dellaplane, qui dissimule mal le dégoût qu’il éprouve et le besoin de s’accrocher à la vie et à l’amour.


 


 

La façon dont Bertrand Tavernier mène cette histoire d’amour constitue une grande réussite, car elle vient enrichir un film déjà dense par son sujet sans toute fois le dénaturer, ce qui n’allait pas de soi. Il fallait aussi l’intensité de jeu de Philippe Noiret et de Sabine Azéma pour donner à cette liaison potentielle une crédibilité qui ne gomme pas tout le fantastique travail historique du film.


 


 

Le finale donne une touche plus mélancolique à l’ensemble. Irène est partie aux États-Unis, où elle reçoit un jour une lettre dans laquelle Dellaplane lui déclare enfin son amour. Libéré de la tâche qui l’absorbait complètement, il a enfin le temps d’être lui-même, de penser à la vie. C’est dans un moment comme celui-ci que l’on retrouve le mieux le Tavernier que l’on aime, dans ce besoin de ne pas nous laisser sur un sentiment de désespérance.


 

La mise en scène contribue elle aussi à cette sensation de plénitude. Le soin apporté au décor, au texte, à la direction d’acteurs (tous les rôles sont tenus à la perfection et on aime bien Pascale Vignal que l’on découvre dans le rôle de l’institutrice) n’est pas nouveau chez Tavernier.


 

Surtout, il a su trouver cet équilibre entre le foisonnement des détails et les grandes lignes du récit, équilibre qui contribue à donner toute sa richesse au film. Quand d’autres travaillent dans le trop-peu, Tavernier déploie une ampleur qui fait plaisir à voir.

Bernard Nave
Jeune Cinéma n°198, novembre 1989




 

II. Des "seconds couteaux" épatants

Tout le bien qu’on peut penser du dernier film de Bertrand Tavernier ayant été dit, on ne reviendra pas sur la beauté et l’ampleur de La Vie et rien d’autre.


 

Une chose nous a frappés cependant, qui mérite qu’on s’y arrête, c’est le soin avec lequel l’auteur a composé sa galerie de seconds rôles. On le sait fin connaisseur du cinéma américain de la grande époque et du cinéma français d’avant-guerre, l’un et l’autre peuplés de seconds couteaux pittoresques et "d’excentriques". Il n’y a plus guère d’équivalents aujourd’hui de ces Ted de Corsia ou Royal Dano, Aimos ou André Lefaur, qu’on poursuivait avec ravissement d’un film à l’autre.


 

D’où le plaisir pris à retrouver, au détour de chaque séquence de La Vie et rien d’autre, des acteurs de second plan, vus ailleurs, mais rarement aussi bien employés.
Un plan, trois répliques, quelques regards suffisent à camper un personnage sans schématisme : Jean-Roger Milo, enfin sorti de ses rôles de loubards névropathes, en paysan silencieux à la recherche du cadavre de son fils, Pierre Trabaud en détective profiteur du désarroi des parents de disparus, aussi acharné que le croquemort de Lucky Luke mais qu’on découvre capable d’héroïsme, Jean-Pol Dubois en chauffeur modèle et distant, entretenant avec Sabine Azéma d’étranges rapports connivents.


 


 

Quant à François Perrot, presque un premier rôle, capitaine malchanceux empêtré dans une bande d’Annamites rétifs, à la recherche d’un soldat vraiment inconnu, il n’a jamais été meilleur depuis Coup de torchon. (1)
Et Maurice Barrier, en sculpteur tumélo-patriotique officiel, remerciant cyniquement la guerre pour tout le travail qu’ellle lui procure, plastronne et vocifère dans une partition pour Robert Le Vigan, dont il se sort avec les honneurs.


 

En contrepoint de l’histoire Noiret-Azéma, il y a là tout une population qui tient sa place dans la tapisserie, lui donnant son relief et sa vérité. Il y a longtemps - depuis Que la fête commence (2) - que Bertrand Tavernier n’avait pas aussi bien réussi son background.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n°198, novembre 1989

1. Coup de torchon de Bertrand Tavernier (1981).

2. Que la fête commence de Bertrand Tavernier (1975).


La Vie et rien d’autre. Réal : Bertrand Tavernier ; sc : Jean Cosmos & Bertrand Tavernier ; ph : Bruno de Keyser ; mont : Armand Psenny ; mu : Oswald d’Andrea. Int : Philippe Noiret, Sabine Azéma, Pascale Vignal, Jean-Roger Milo, Maurice Barrier, Pierre Trabaud, François Perrot, Daniel Russo, Jean-Pol Dubois, Maurice Barrier (France, 1989, 135 mn).



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