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Chaque soir à neuf heures (1967)
de Jack Clayton
publié le lundi 13 juin 2016

par Frédéric Gavelle
Jeune Cinéma n°361-262, automne 2014

Sélection officielle de la Mostra de Venise 1967

Sortie le jeudi 6 septembre 1973


 

Pour saluer son cinquantenaire, Jeune Cinéma a posé une question à ses collaborateurs : Quel film des cent dernières années aimeriez-vous sortir de l’ombre ?
Ce film fait partie des hidden gem (re)découverts à cette occasion.


Certains trésors, de derrière les fagots, se dénichent facilement ; d’autres, plus profondément enfouis sur des îles lointaines, exigent davantage de patience et d’opiniâtreté. Mais il y a aussi ces joyaux sur lesquels on tombe fortuitement, sans les avoir bien cherchés, sans même connaître leur existence. Leur éclat et le souvenir ébloui qu’ils nous laissent les rendent encore plus précieux que bien des chefs-d’œuvre.


 

C’est le cas, par exemple, de Our Mother’s House (1967) le quatrième long-métrage du britannique Jack Clayton, découvert un soir, tard, à la télévision, et jamais revu depuis. Le réalisateur a déjà attiré l’attention sur lui à la faveur de ses deux premiers films : Les Chemins de la Haute-Ville avec Simone Signoret et Lawrence Harvey, (1) et surtout Les Innocents avec Deborah Kerr (2). Il dirigera plus tard Robert Redford dans l’adaptation la plus célèbre du roman de Francis Scott Fitzgerald, Gatsby le magnifique. (3)


 

Dans une petite maison de la banlieue de Londres, une mère de famille nombreuse meurt.
Ses enfants, de peur d’être envoyés à l’orphelinat, cachent le décès aux yeux de tous, enterrent secrètement leur mère dans un abri de jardin et continuent tant bien que mal leur vie comme si de rien n’était. Mais l’arrivée de leur père, un joueur porté sur la bouteille et disparu depuis des années, menace le fragile équilibre de la fratrie.
Dans le rôle de cet escroc à la petite semaine, Dirk Bogarde est redoutable et n’hésite pas à user de sa faconde et de son pouvoir de séduction auprès des enfants afin de mettre la main sur le maigre livret d’épargne de sa défunte épouse.


 

Our Mother’s House est un film étrange et déchirant (que souligne la musique romantique de Georges Delerue), aux teintes grisâtres : le jardin et les rues sont tapissés de feuilles mortes, les tenues sont ternes, les intérieurs sombres. Chaque soir à neuf heures, - c’est le titre français du film -, les enfants se réunissent sur la tombe de leur mère pour y lire la Bible.


 

En filigrane, le cinéaste livre une critique de l’intégrisme religieux - la mère meurt d’avoir refusé les soins d’un médecin -, de ses interdits hypocrites, de ses manipulations et de l’aveuglement qu’il favorise. Le titre original est tiré du Cantique des cantiques, dont la cadette récite le soir du décès les chapitres 2 et 3. (2)


 

Ce film ambigu et mélancolique, qui fraie avec le fantastique - les obsèques nocturnes, l’éprouvante séquence de la benjamine punie d’un prétendu "péché" -, est à classer parmi les grands films sur l’enfance, tels La Nuit du chasseur ou Sparrows, ces contes horrifiques dont les enfants sont à la fois les victimes et les héros, ayant trouvé en eux même le courage d’affronter l’adversité. (3)

Frédéric Gavelle
Jeune Cinéma n°361-262, automne 2014

1. Les Chemins de la Haute-Ville (Room at the Top) de Jack Clayton (1959), sélection officielle du festival de Cannes 1959, a gagné 3 oscars en 1960, meilleure actrice dans un rôle principal pour Simone Signoret, meilleur scénario pour Neil Paterson, meilleur photo pour John Woolf. Le film est ressorti en version restaurée en 2019.

2. Les Innocents (The Innocents) de Jack Clayton (1961), sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 1962.

3. Gatsby le magnifique (The Great Gatsby) de Jack Clayton (1974) a gagné 2 Oscars en 1975, meilleur costume pour Theoni V. Aldredge et meilleure musique pour Nelson Riddle.

4. Cantique des cantiques, 3:4 : "It was but a little that I passed from them, but I found him whom my soul loveth : I held him, and would not let him go, until I had brought him into my mother’s house, and into the chamber of her that conceived me."
"À peine les avais-je passés, que j’ai trouvé celui que mon cœur aime : je l’étreins, et je ne le quitterai pas avant de l’avoir fait entrer dans la maison de ma mère, dans la chambre de celle qui m’a conçue".

5. La Nuit du chasseur (The Night of the Hunter) de Charles Laughton (1955), est sorti en France pour la première fois en 1956, puis, en version restaurée, en 1994 et en 2011. ; Les Moineaux (Sparrows) de William Beaudine (1926), avec Mary Pickford, n’est jamais sorti en France.


 
Chaque soir à neuf heures (Our Mother’s House.) Réal : Jack Clayton ; sc : Jeremy Brooks et Haya Harareet, d’après le roman de Julian Gloag ; ph : Larry Pizer ; mu : Georges Delerue. dec : Ian Whittaker ; mont : Tom Priestley. Int : Dirk Bogarde, Maggie Brooks, Pamela Franklin, Louis Sheldon Williams, John Gugolka, Mark Lester, Sarah Nicholl, Gustav Henry, Parnum Wallace, Yootha Joyce, Claire Davidson, Anthony Nicholls (Grande-Bretagne, 1967, 104 mn).



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