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What You Gonna Do When The World’s On Fire ? (2018)
de Roberto Minervini
publié le mercredi 5 décembre 2018

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°391, décembre 2018

Sélection de la Mostra de Venise de 2018

Sortie le mercredi 5 décembre 2018


 


Le documentaire de Roberto Minervini, un natif des Marches installé aux États-Unis, sort sur nos écrans auréolé de prestige : retenu en sélection officielle à la Mostra de Venise 2018, primé aux festivals de Mar del Plata et de La Roche-sur-Yon, couronné du Grierson Award au 62e BFI London Film Festival. Pourtant, ni le cinéaste, ni sa protagoniste, Judy Hill, présente sur scène au Majestic Bastille et à l’écran, n’en ont fait état. Celle-ci a déclaré laconiquement : Hope you’ll understand it.


 

Un film complexe ? En tout cas peu explicite, sans velléité pédagogique.
Le titre est celui d’un gospel, mais il n’est jamais précisé qu’on est en Louisiane.
À Bâton Rouge ? Un des faits divers évoqués, le cas de Alton Sterling, vendeur de CD à la sauvette tué par la police devant une supérette - ce qui déclencha des émeutes en 2016 - semble l’indiquer.
À La Nouvelle-Orléans, dans le quartier de Tremé, où se trouve le Oo Poo Pah Do Bar que tient Judy ?


 

On peut le penser puisque les Afro-Amérindiens défilant pour Mardi Gras dans de somptueux costumes de perles et de plumes rappellent ceux du film Black Indians. (1)

Comme si cela ne suffisait pas, se joignent à ce petit monde des membres du New Black Panthers Party for Self Defence, un petit groupe martial, déterminé et... superbe.


 


 

Qui représente quoi dans ce puzzle ?
Et qui sont ces deux enfants, beaux comme de sculptures, informés, matures politiquement, qui circulent en vélo dans la ville blême, marquent le rythme avec des cailloux, tels les percussionnistes des Batteries Dogon ? (2)


 


 

Dans de très longs plans-séquences, le cinéaste traite de quatre thèmes que l’on peut résumer comme suit : Judy et sa mère, expulsée de son logement ; l’héroïne avec ses frères et neveux musiciens ; le Black Indian Big Chief Kevin, de la tribu des Flaming Arrows ; le groupuscule politique, qui passe son temps à scander des slogans comme un chœur antique. Ces derniers, de manière théâtrale et sur un ton vengeur, fustigent le Mississipi shooting : le lynchage de deux lycéens dont le tort était d’avoir des petites amies blanches ainsi que les ravages de la gentrification de leur ville.


 


 

Ce qui donne une unité à ces séquences très différentes, c’est l’usage d’un noir & blanc somptueux, qui a la fois déréalise le profilmique et fonctionne comme un hommage à tant de documentaires tournés sur les luttes afro-américaines, lors du mouvement des droits civiques notamment.


 

La caméra, littéralement en transe, s’approche au plus près des visages et des corps, brinqueballe au point de vous donner le mal de mer. Le lamento de la parole de Judy, les répons des néo Black Panthers évoquent, dans leur véhémence et leur musicalité, les derniers poètes Gylan Kain et Felipe Luciano du film de Herbert Danska, Right On ! (3)

What You Gonna Do est un véritable opéra, un Gesamtkunstwerk post-Katrina. (4)
Les scènes de la vieille Cherokee, la mère de la protagoniste, semblent tirés de ¡Que viva Mexico ! (5)


 

On en ressort ébloui et ébranlé.
Convaincu ? Pas vraiment.

Minervini dit vouloir donner une voix aux sans voix, une déclaration d’intention contredite par son esthétique. Par dessus le marché, Judy n’est pas la pauvre ex-junkie qui nous est vendue. Elle et sa famille sont des légendes vivantes, des descendants de Jessy Hill, une star du Rhythm and Blues, dont le tube Ooh Poo Pah Doo fut repris par Ike & Tina Turner ainsi que par Sonny and Cher. Et ses neveux, James Andrews et Trombone Shorty, jouèrent sur Jackson Square, peu de jours après le passage de l’ouragan pour démontrer que La Nouvelle-Orléans était toujours Alive and Kicking.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°391, décembre 2018

1. Black Indians de Jo Béranger, Hugues Poulain & Édith Patrouilleau (2018).

2. Batteries Dogon. Eléments pour une étude des rythmes de Jean Rouch, Gilbert Rouget & Germaine Dieterlen (1964). Cf. Gilbert Rouget, "Un film expérimental : Batteries Dogon. Éléments pour une étude des rythmes", L’Homme, Année 1965, 5-2, pp. 126-132.

3. Right On ! de Herbert Danska (1970). Le MoMA, qui l’a restauré à partir du négatif 35 mm, le décrit comme un film pionnier, tourné "guerilla-style" sur les toits de Manhattan, porteur de la radicalité noire des années 60’ et précurseur de la révolution hip hop, "une conspiration de rituels, de théâtre de rue, de musique soul et de cinéma".

4. Gesamtkunstwerk : "œuvre d’art totale". Le concept appartient au romantisme allemand. L’ouragan Katrina - un des plus puissants de l’histoire des États-Unis -, a atteint les côtes de La Nouvelle-Orléans et de Biloxi le 29 août 2005. La gestion calamiteuse de la catastrophe en a fait uns des plus meurtrières de l’histoire de la Louisiane, s’accompagnant de divers scandales révélateurs du racisme et de la corruption régnant dans la région.

5. ¡Que viva Mexico ! de Sergueï Eisenstein (1932).

What You Gonna Do When the World’s On Fire ? Réal, sc : Roberto Minervini ; ph : Diego Romero ; mont : Marie-Hélène Dozo. Int : Judy Hill, Dorothy Hill, Michael Nelson, Ronaldo King (France-Italie-USA, 2018, 123 mn).



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