Jeune Cinéma n°391 - décembre 2018
Édito & sommaire
publié le lundi 17 décembre 2018

JEUNE CINÉMA n°391, décembre 2018.


 

Couverture :
Alla Nazimova, Salomé de Charles Bryant (1923).

Quatrième de couverture :
Raizô Ichikawa, Le Passage du Grand Bouddha de Kenji Misumi (1960)
in Tomuya Endo & Pascal-Alex Vincent, L’Âge d’or du cinéma japonais (1935-1975), vol. II, coffret DVD Carlotta.

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ÉDITO JEUNE CINÉMA n° 391, décembre 2018

 

Il faut reconnaître que, depuis quelques semaines, le cinéma n’a pas été la chose la plus intéressante au monde et que notre attention a été plus sollicitée par ce qui se passait ailleurs que dans les salles obscures.
Les temps changent, comme l’annonçait déjà jadis notre prophète préféré, mais qu’ils changent à la vitesse d’une germination filmée en accéléré, ce n’était pas prévisible et à peine probable. Il y a encore un mois, tout semblait calme, la grande paix routinière de Noël et sa promesse de consommation tous azimuts allaient occuper les esprits et faire chauffer les cartes bancaires.
Il aura donc suffi d’un accès de grogne émise par une citoyenne lambda et tout de go captée par un million de récepteurs pour que tout tremble, qu’une situation apparemment garantie à toute épreuve se fissure à vue d’œil, que le jaune, pour la première fois dans l’histoire des couleurs, devienne celle de la révolte, jusqu’à faire de Paris une ville terrorisée, claquemurée derrière ses volets de bois hâtivement installés.
On se gardera de se prononcer sur les causes et les effets, les bons et les méchants, les stratégies affichées ou dissimulées, tant l’Histoire galope, interdisant toute analyse qui, à peine avancée, ne soit contredite. Notons une évidence : il s’agit de la première occurrence d’un fait social de cette importance déclenché par la technologie, impliquant interactions immédiates et improvisations non contrôlées, hors de toute maîtrise et de tout programme constitué - exemple rêvé pour les futurs étudiants en sciences politiques.

Après avoir vu célébrer à l’envi le cinquantenaire de mai 68, au plus haut niveau (rappelons La Traversée, fâcheuse pantalonnade signée Goupil & Cohn-Bendit, avec l’onction du pouvoir (1), manière de recouvrir de poussière historique et de désamorcer définitivement un printemps fugace qui, référence ou repoussoir, n’a jamais cessé de compter, il est plaisant de constater que la vieille taupe n’a toujours pas dit son dernier mot. André Breton écrivait il y a 70 ans (2) : "la poésie se fait dans les bois" ; elle peut également se faire partout où on l’attend le moins, rues, ronds-points ou parkings, là où le désir de parole et d’action peut trouver son compte.

Un regret : 68 avait été filmé en long et en large et c’est grâce à ces documents que s’est transmise sa mythologie.
Qui aura filmé le mouvement des gilets jaunes ?
Les chaînes d’information continue, les téléphones portables, les caméras GoPro des forces de l’ordre ? Quelle œuvre destinée à durer en sortira ? Quel Chris Marker donnera une forme à ce torrent ? La question n’est pas seulement rhétorique ; faute de pensée pour les organiser, les images ne sont que des images. À suivre.

Nonobstant, le cinéma existe encore. On en trouvera quelques traces dans les pages de cet ultime numéro de l’année.
À travers les comptes rendus du Festival Lumière, par exemple. Si nous lui avons accordé autant d’espace, c’est parce que la dixième édition de ce qui est désormais, par sa fréquentation, le deuxième festival hexagonal après Cannes, fut particulièrement riche en (re)découvertes. Lumière prouve que l’on peut allier films populaires et cinéma de recherche et satisfaire chaque public ; le programme cette année couvrait les années 1910 à 2018 - qui peut rêver plus large éventail ? Le seul problème qui menace, c’est le succès : à partir du moment où chaque séance, qu’elle présente Alfonso Cuaron ou Muriel Box, affiche complet, le festival risque de se voir contraint de faire mieux - plus de salles, plus de films, plus de spectateurs. Or sa caractéristique est d’être parvenu à conserver, au fil des ans, la convivialité et la fraîcheur qui présidaient à ses débuts et il serait dommage qu’il perdît l’une ou l’autre. À suivre également.

Les Documents cinématographiques, créés par Jean Painlevé en 1930, ont eu l’excellente initiative d’éditer la presque totalité (treize titres sur dix-huit) de l’œuvre documentaire, bien oubliée, de Philippe Haudiquet.
Celui-ci est aujourd’hui en retraite (il est né en 1937), mais son cinéma d’intervention militante a accompagné durant vingt-cinq ans - entre 1969 (Trente-six heures) et 1993 (Georges Rouquier) - quelques luttes majeures de la paysannerie, dont celle du camp du Larzac, emblématique des années 70. Aurait-il suivi, caméra au poing, les manifestations présentes ? Non, sans doute. C’était un homme de terroir, qui s’imprégnait des situations pour en extraire le sens et témoigner, pas un reporter de terrain, comme les filmeurs de 68 (3). Ce n’est pas parce qu’il a (un peu) collaboré à Jeune Cinéma dans les temps héroïques que nous saluons ses films, mais simplement parce qu’ils le méritent.

Pour les amateurs du muet, la Fondation Seydoux-Pathé, après un hommage aux films Éclair (12 au 21 décembre 2018), offrira une sélection de trois cents films Lumière, inédits pour une grande part, et ce jusqu’au 8 janvier 2019. Des "vues" jamais montrées, voilà un cadeau de choix dans nos sabots.

Et puisque nous en sommes aux cadeaux, recommandons, outre le superbe coffret René Féret évoqué plus loin, la réédition, par Malavida, du film de Henri Storck, Le Banquet des fraudeurs, dont le livret reproduit l’entretien que le cinéaste avait accordé à notre revue il y a tout juste trente ans. Plaisir assuré pour qui ne connaît pas cet étonnant produit, qui préfigurait comiquement en 1951 les tribulations de la construction européenne.

L’actualité plus large ?
On la retrouvera, jour après jour, sur le site de la revue.
Et d’ailleurs, comme Jean George Auriol persiste à l’affirmer en exergue, "l’actualité, ça ne se suit pas, ça se crée".

Lucien Logette
Jeune Cinéma n°391, décembre 2018

1. Cf. Jeune Cinéma n° 387, mai 2018.

2. André Breton, "Sur la route de San Romano", Poèmes, Paris, Gallimard, 1948.

3. En postface au cinquantenaire, on pourra voir bientôt dans les salles Les Révoltés, de Jacques Kebadian & Michel Andrieu, montage de plusieurs courts tournés par leur collectif ARC en mai 1968.



SOMMAIRE JEUNE CINÉMA n°391, décembre 2018

 

Cinéma français
 

* Les drôles de chemins de Bruno Dumont, par René Prédal.
* Six portraits XL de Alain Cavalier, par Bernard Nave.
* Prélude à René Féret, par Lucien Logette.

Festivals
 

* Festival Lumière, Lyon 2018
I. Impressions festivalières, par Philippe Roger.
II. Bribes, par Lucien Logette.
III. Moscou ne croit pas aux larmes, par Anne Vignaux-Laurent.
IV. Le Syndrome chinois, par Aurélien Portelli.
V. Muriel Box, l’exception anglaise, par Lucien Logette.
* Festival du film britannique (Dinard 2018), par Nicole Gabriel.
* Arras Film Festival 2018, par Alain Souché.
* Cinéma espagnol différent, par Marceau Aidan.

Documentaires
 

* Retour sur Philippe Haudiquet, par Robert Grélier.
* Il était une fois le Larzac, par Lucien Logette.

Patrimoine
 

* Inferno 16 : Benoît Jacquot, par Jean-Paul Combe & Vincent Heristchi.
* Grandes et petites énigmes du cinéma muet IX. La mort de Thomas H. Ince, par Vincent Pinel.
* Pionnières du cinéma muet, par Nicole Gabriel.

DVD
 

* Glanures : de Lachmann à Matton, par Philippe Roger.
* Ousmane Sembène, Emitaï (1971), par Robert Grélier.
* Jacques Colombat, Robinson et compagnie (1991), par Robert Grélier.

Cinéma et littérature
 

* Toute la mémoire du surréalisme (7) : André Masson de Fabrice Maze, par Robert Grélier.
* Jacques Vaché, Lettres de guerre 1914-1918, par Lucien Logette.

Actualités
 

* Maya, par Jean-Max Méjean.
* Cassandro the Exotico !, par Nicolas Villodre.
* Troppa grazia, par Gisèle Breteau Skira.
* Amanda, par Claudine Castel.
* Ulysse et Mona, par Gisèle Breteau Skira.
* An Elephant Sitting Still, par Nicole Gabriel.
* Monsieur, par Jean-Max Méjean.
* L’Œil du tigre, par Jean-Max Méjean.
* What You Gonna Do When the World’s on Fire ?, par Nicole Gabriel.

Livres
 

* Simon Laperrière, Series of Dreams. Bob Dylan et le cinéma, par Lucien Logette.
* Jean-Noël Grando, Danielle Darrieux, Stradivarius de l’écran, par Lucien Logette.
* Endo Tomuya & Pascal-Alex Vincent, L’Âge d’or du cinéma japonais, 1935-1975, vol II. Dictionnaire des acteurs et actrices japonais, par Lucien Logette.
* David Faroult, Godard, inventions d’un cinéma politique, par Lucien Logette.
* Laurent Bourdon, Les Pépites de la critique cinéma, les plus drôles, les plus impertinentes, les plus assassines, par Lucien Logette.

Humeur
 

* De Gounod à Bizet, par Bernard Chardère.

JEUNE CINÉMA n°391, décembre 2018.



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