Annecy italien 2013
publié le mardi 6 janvier 2015

Annecy italien, 9-15 octobre 2013, 31e édition

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°358 mars 2014

Suivi du Palmarès 2013

Cette année encore, le festival a été exilé à quelques centaines de mètres de son espace originel, la Scène nationale de Bonlieu, toujours en travaux.
En principe, l’édition 2014 rejoindra le palais, avec sa vue imprenable sur le lac et le gazon du Pâquier. De toutes façons, la météo pourrie et les hallebardes sur la ville trois jours durant décourageaient toute velléité de dérive urbaine.
Vive le cinéma, donc, bien à l’abri, dans le multiplexe Décavision, dont le seul inconvénient demeure la faible contenance de sa grande salle, comparée au millier de places de Bonlieu : le public étant toujours aussi nombreux, il fallait se glisser dans des files presque cannoises, inhabituelles pour ce festival à visage humain. Mais l’agrément du spectacle offert valait bien quelques demi-heures d’attente.

D’une année à l’autre, on constate un même écart entre le bilan de l’année cinématographique tracé par Alain Bichon dans le catalogue et ce que Jean A. Gili à choisi de sélectionner.

* D’un côté, des perspectives sombres quant à l’état des lieux - baisse de fréquentation, effondrement des films italiens devant les produits US, cinéma commercial exsangue à le recherche de nouveaux filons, disparition de distributeurs importants comme Fandango et la Sacher de Moretti.

* De l’autre côté, une série de premières et deuxièmes œuvres remarquables et d’avant-premières de films d’auteurs réussis.

Qui croire ? Les deux évidemment.
On pourrait pareillement présenter un bilan du cinéma commercial hexagonal ravageur, eu égard au nombre de "gros" films qui se sont plantés en 2013, et une sélection de jeunes cinéastes, Hélier Cisterne, Guillaume Brac, Antonin Peretjatko ou Samuel Rondiere, offrant un regard neuf et permettant d’envisager de beaux lendemains.

Vu de Paris, le cinéma italien semble pourtant bien se porter.
Il y a bien longtemps que l’on n’avait pas compté autant de titres distribués, et pas seulement ceux de réalisateurs haut de gamme comme Sorrentino (La grande belleza), Diritti (L’uomo che verra, enfin !) et Bellocchio (Bella endormentata).
Mais aussi des inconnus comme Andrea Segre (La Petite Venise), Rocco Papaleo (Basilica coast to coast, découvert ici) ou les vainqueurs cannois de la Critique, Fabio Grassadonia & Antonio Piazza (Salvo).

Les films présentés à Annecy dans la section "Événements", bientôt programmés, espérons-le, sur les écrans français, ne feront que conforter cette impression de richesse.

Outre Un giorno devi andare, de Giorgio Diritti, dont Bernard Nave a déjà décrit tous les mérites, et La citta ideale de Luigi Lo Cascio (2012), dont on ne peut comprendre qu’il ne soit pas sorti plus tôt, on pourra savourer Anni felici, de Daniele Luchetti (sortie le 28 mai, devenu Ton absence, critique dans le prochain numéro) et Bellas mariposas, de Salvatore Mereu (2012), étonnante plongée chez les adolescents sardes de Cagliari, tribu aussi sauvage que ses équivalents du Bronx, avec ses codes, ses chicayas, son langage et sa violence - les beaux papillons du titres étant deux adolescentes époustouflantes de naturel.

Le Prix Sergio Leone

C’est à Roberto Ando que revint cette année le prix Sergio Leone, qui récompense un cinéaste en devenir, à savoir un auteur signataire d’une œuvre encore courte, mais marquante, et dont on peut prévoir qu’il confirmera les qualités déjà constatées.
Ando succède à Daniele Vicari, dont on a pu voir à Paris, quoique fugacement, l’excellent Diaz.
Si l’on sait que parmi les précédents lauréats, il y eut Avati, Amelio, Mazzacurati (qui vient de disparaître), Luchetti, Giordana, Soldini et Virzi, l’on ne peut que souhaiter à Ando une trajectoire à hauteur de cette lignée.
Viva la liberta est sorti il y a peu, il n’est pas trop tard pour apprécier son intelligence et la performance de Toni Servillo, décidément éblouissant quoi qu’il fasse.

Chez les huit "jeunes" (trentenaires en majorité) en compétition, c’est à Andrea Segre qu’échut le Grand Prix.
Une récompense méritée, tant son film, La prima neve (2013), dépassait les autres de la tête et des épaules.
Son précédent, La Petite Venise (Io sono Li, 2011), ayant connu en France un petit succès imprévu, celui-ci n’attendra peut-être pas plusieurs années avant d’être proposé aux spectateurs. Ils pourront alors apprécier les qualités d’écriture du scénariste, Segre maniant trois ou quatre thématiques en parallèle de façon à la fois harmonieuse et elliptique - l’exil, la vie montagnarde, les rapports mère-fils, la mythification d’un père disparu - et les qualités du cinéaste, affûtées par la dizaine de documentaires qu’il a déjà signés, filmant la montagne comme Diritti l’avait fait dans Il vento fa il suo giro : la couleur des forêts, la lumière dans la vallée, le vent des cîmes, les gestes du menuisier (gloire à Luca Bigazzi, le plus grand chef-opérateur italien actuel). Et le lent apprivoisement de l’enfant rétif par le Togolais en transit, qui attend une neige qu’il n’a jamais vue et rêve d’ailleurs improbables, est une magnifique histoire. On peut prédire à l’auteur un prix Sergio Leone dans les années 20.

La thématique de l’immigration

Dani, l’Africain exilé du film de Segre, n’était pas le seul de son espèce dans la sélection : d’une édition à l’autre, on constate l’importance grandissante qu’a prise l’immigration dans le cinéma italien - comment s’en étonner, lorsque chaque semaine apporte son lot de drames à Lampedusa ?
Si le problème n’est pas toujours abordé comme sujet principal, peu de films y échappent, ne serait-ce que par les personnages secondaires, le Roumain de Razzabastarda (Alessandro Gassman, 2012) ou l’Africain d’un pays non-identifié de Acqua fuori dal ring (Joel Stangle, 2012), tourné dans une Sicile sombre, dépourvue de soleil au cœur d’une Catane aussi glauque que la Naples de Gomorra.

Personnages souvent positifs : outre le touchant Dani, Ibrahim, le Marocain de 31 gradi Kelvin (température de la survie minimale - Giovanni Calvaruso, 2013), travaillant depuis des années en Sicile, retournera au pays en emmenant le vieil ouvrier solitaire. Le cinéma italien n’en est plus à traiter le problème - comment y parvenir ? -, les immigrés font partie du décor urbain, y jouent leur rôle, comme chacun.

Et les autres films

Ici, en 2007, dans La ragazza del lago (Andrea Molaioli), Toni Servillo campait un extraordinaire policier, mutique et obstiné.
C’est au tour de Silvio Orlando de s’y coller, dans La variabile umana (Bruno Oliviero, 2013), en inspecteur à bout de course, inconsolable d’avoir perdu sa femme et de perdre peu à peu sa fille, confronté à un meurtre dans une enquête qu’il ne maîtrise pas, malgé le dévouement de son adjoint, Giuseppe Battiston (sans doute le seul acteur obèse - avec le Danois Daniel Bro - capable de tenir tous les rôles).
Plus que la résolution de l’énigme, c’est la situation qui importe, cet entre-deux brouillé dans lequel patauge l’inspecteur Monaco, et qu’une fin ouverte laissera suspendu.
Pour son premier film de fiction, Oliviero touche juste.

Tout comme Cristian Scardigno, qui parvient, dans Amoreodio (2013), à nous intéresser à ses deux ados criminels, alors que leur itinéraire est déjà balisé : on sait qu’ils iront jusqu’au bout de la violence, tout est dans la manière dont le réalisateur va suivre ses tristes héros. C’est du cinéma glaçant, sans provocation ni pathos - prix d’interprétation, justifié, à la jeune Francesca Ferrazzo.

Dans une compétition pas vraiment enjouée, la comédie semblant ne pas avoir les faveurs des primo-cinéastes, Nina apparaît comme une bouffée de bonheur - au point que l’on décerne au film d’Elisa Fuksas notre coup de cœur de la saison.
Annecy nous réserve souvent des œuvres inattendues : Lecture 21 d’Alessandro Baricco, ou Tuta colpa di Giuda, de Davide Ferrario, avec Kasia Smutniak, en 2009). Nina fera désormais partie du petit nombre de ces films pairs.

Rien à écarter dans cet Annecy 2013.
Mais on sait depuis belle lurette que ce rendez-vous annuel ne nous déçoit jamais.

Avec un plus cette fois-ci : il pourrait bien s’agir de l’ultime festival du cinéma italien à l’ombre de Berlusconi.
Ne serait-ce que pour cette bonne nouvelle, on notera cette édition d’une pierre blanche supplémentaire.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n°358 mars 2014

PALMARÈS ANNECY ITALIEN 2013

Prix Sergio Leone à Roberto Andò., pour l’ensemble de son œuvre avec présentation de Viva la libertà

1. FICTION

Grand Prix fiction
La prima neve de Andrea Segre

Prix spécial du jury fiction
La variabile umana de Bruno Oliviero

Prix d’interprétation féminine
Francesca Ferrazzo dans Amoreodio de Cristian Scardigno

Prix d’interprétation masculine
Silvio Orlando dans La variabile umana de Bruno Oliviero

Prix du public
La prima neve de Andrea Segre

2. DOCUMENTAIRE

Grand Prix documentaire
Bimba col pugno chiuso de Claudio di Mambro, Luca Mandrile, Umberto Migliaccio.

Prix spécial du jury documentaire
Noi non siamo come James Bond de Mario Balsamo

Mention spéciale du jury documentaire
All’ombra della croce de Alessandro Pugno

Prix du jury lycéen documentaire
Le cose belle de Agostino Ferrente et Giovanni Piperno

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