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Monsieur (2018)
de Rohena Gera
publié le mercredi 26 décembre 2018

par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n° 391, décembre 2018

Sortie le mercredi 26 décembre 2018


 


Rohena Gera, dont c’est le premier long métrage de fiction, après un documentaire, What’s Love Got to Do with It ?, nous livre une histoire d’amour impossible entre un riche jeune homme de Bombay et sa servante, Ratna, jeune veuve venue à son service après avoir quitté son village.
"La façon dont les Indiens traitent leurs domestiques, déclare la réalisatrice, est un secret inavouable. […] Les gens vivent côte à côte, dans un espace intime, mais divisé, où deux mondes complètement différents coexistent sous le même toit."


 

Le film débute sur un beau plan, dû à Dominique Colin pour l’image, et à Parul Sondh et Kimmeineng Kipgen, respectivement décorateur et costumière, qui montre Ratna (Tillotama Shome), en train de préparer ses bagages afin de regagner Bombay. Elle est entourée de magnifiques soieries indiennes, sorte de préfiguration du métier qu’elle voudrait exercer dans la mode et la couture.
En quelques plans magnifiques, le décor de l’Inde est planté, mais aussi le personnage dont on devine toute la vie, l’agilité et l’intelligence.


 

Pour se rendre à Bombay où son maître la demande, car son projet de mariage vient de tomber à l’eau, on voit Ratna prendre rickshaws, bus, mobylette, comme si la ville était très éloignée du village. On la voit remettre dans le bus ses bracelets, car une veuve ne peut pas en porter au village. Arrivée à la maison de son maître, elle est tout de suite confrontée aux ragots du personnel masculin, le chauffeur tout autant que le réceptionniste.


 

Au fil du déroulement de ce très beau film, on mesure l’enfermement de la société indienne, qui, avec ses castes, emprisonne pauvres et riches : comme on le découvre peu à peu, Ashwin, soumis aux pressions sociales de son père, du modernisme, de sa mère, de ses amis, de son job, est encore plus enfermé que Ratna qui, parce qu’elle est courageuse et veut en sortir, apparaît comme un être relativement plus libre. Elle lui fait découvrir la terrasse de l’immeuble qu’il ne connaît pas mais qu’elle a découverte dans ses tâches ménagères, elle danse lors de la fête de Ganesh.


 

Elle ne pourra pas répondre à l’amour que lui voue Ashwin, car la différence de classe les condamne à demeurer deux étrangers : même en vivant sous le même toit, les domestiques mangent par terre et dorment sur des nattes qui doivent disparaître au petit matin. Frontière invisible mais infranchissable.

"Mon film prend sa source dans un conflit qui m’a agitée toute ma vie, déclare Rhena Gera. J’ai grandi en Inde et la ségrégation était une réalité. Enfant, j’avais une nourrice qui s’occupait de moi, qui faisait partie de la famille mais, en même temps, en était exclue."


 

Le film n’est ni un film social, ni un film politique, mais seulement un film d’amour impossible, qui débouche pourtant sur une tentative de dépassement de cette frontière grâce à un stratagème mis en place par Ashwin et qu’on ne dévoilera pas.

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n° 391, décembre 2018

Monsieur. Réal, sc : Rohena Gera ; ph : Dominique Colin ; mont : Jacques Comets ; mu : Pierre Aviat. Int : Tillotama Shome, Vivek Gomber, Geetanjali Kulkarni, Rahul Vohra (Inde-France, 2018, 99 mn).



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