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Reader (the) (2008)
de Stephen Daldry
publié le dimanche 3 février 2019

par Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma en ligne directe

Oscar 2009 de la meilleure actrice dans un rôle principal à Kate Winslet

Sortie le mercredi 15 juillet 2009


 


Le film de Stephen Daldry est une film-perspective, qui se déroule sur plusieurs époques, trouvant son sens dans le déroulement des décennies.


 


 

L’été 1958, Michael Berg, 15 ans, est déniaisé par une femme généreuse Hanna Schmitz, qui a plus du double de son âge. Il est fils de bourgeois, elle est contrôleuse de tramway. L’été est heureux, les relations sont profondes. Elle lui demande de lui faire la lecture - L’Odyssée, Guerre et paix, L’Amant de Lady Chatterley... Leurs corps et leurs esprits se mélangent admirablement, et la clandestinité de leurs rencontres ajoute de l’ampleur à la belle aventure. Pour l’adolescent, ça ressemble furieusement à un premier amour.


 

Un jour, Hanna est promue pour un travail de bureau. Au lieu de se réjouir, elle disparaît sans explication. Michael ne comprend pas et souffre. Ça ressemble à un grand premier chagrin d’amour. L’été passe, la vie continue, on s’en remet.

En 1966, Michael est étudiant en droit, il a une petite amie et des copains.
En marge de ses cours, en guise de TP, il assiste au procès des anciennes gardiennes SS d’Auschwitz, parmi lesquelles il reconnaît Hanna.


 


 

La vieille blessure se remet à saigner, puis s’infecte de jour en jour, alors qu’il découvre les horreurs qu’elle aussi a commises. Tout spécialement cette église pleine de 300 prisonnières, qui flambait, et dont elle n’eut pas l’idée d’ouvrir les portes.
Face aux juges, elle se défend pied à pied, justifiant les méfaits par la nécessité de l’ordre et de l’obéissance. Quand les autre accusées se déchargent sur elle de leurs responsabilités, elle assume le fardeau et finit même par reconnaître avoir écrit un rapport aux SS à ce sujet.


 

Au vu des pièces au dossier, l’évidence apparaît soudain à Michael : en fait, elle ne sait ni lire ni écrire, et elle a honte. C’est probablement ce simple fait qui a modulé son destin, l’engagement chez les SS, la dérobade à la promotion. Il pourrait intervenir, mais décide de suivre ce qu’il croit comprendre être sa volonté. La pyramide des besoins de Maslow (1) ne s’applique pas à tous, il est des êtres, non conformes à la majorité, qui préfèrent la mort à l’humiliation. Les autres gardiennes écopent de 4 ans de prison, pour Hanna, c’est perpète.


 

En 1976, Michael a vécu sa vie, et, après son divorce, il range. Il retrouve les vieux livres qu’il lisait à Hanna, et, avec eux, les vieux souvenirs. Il décide de reprendre ses lectures, qu’il enregistre sur cassettes, et qu’il lui envoie régulièrement - et anonymement - dans sa prison. Elle apprend alors à lire et écrire toute seule.
Le film pourrait s’arrêter là, et ce ne serait, au fond, qu’une histoire d’amour parmi d’autres.


 

Mais l’histoire de leurs vies continue, car il s’agit de bien plus que de l’analphabétisme qui peut tuer, ou de l’amour qui, en se transformant, peut devenir amitié loyale.
Chaque péripétie de leur histoire originelle puis de leurs retrouvailles, de la plus anodine à la plus mémorable, est un élément fécond du tissage de ces deux destins, à la fois incompatibles et inséparables, que les conteurs, ni Bernhard Schlink, le romancier ni Stephen Daldry le cinéaste, ne pouvaient laisser de côté.

Le sujet principal du film, c’est d’abord l’infinie douleur de Hanna.
Dans ce récit sans pathos, on la perçoit, cette douleur, à travers le regard paniqué mais têtu de Kate Winslet - Il faut la voir s’habiller, la tête haute, avant d’aller au verdict - ou les yeux tristes de Ralph Fiennes - noyé dans la désolation et l’impuissance.


 

Hanna s’exclut elle-même socialement du monde des métiers puis du monde tout court, parce que, seule et ignorante des mots de l’histoire des humains, elle a été exclue du monde des sentiments.
Sa tragédie est d’avoir l’intuition de sa conscience squelettique et de la chair qui lui manque, de pourtant vivre avec, un intense et permanent besoin quasi physique, une inextinguible soif de vampire.
Au point que, dans le camp, elle pouvait même se faire lire des livres par des détenues, qu’elle envoyait à la mort le lendemain sans remord. Avec son jeune amant, elle a sans doute fait la même chose. Peut-être qu’elle ne l’a pas aimé du tout et qu’elle était seulement addict à la Dame au petit chien. Sans doute a-t-elle entrevu quelques douceurs, le sexe, l’été, la gentillesse, ou une bouffée émotionnelle en revoyant l’église. À peine.


 

Chez les humains, tout s’apprend, et peut-être même que, chez tous, les leçons de morale précèdent la compassion vécue. Hanna n’est ni cynique, ni mauvaise, elle n’a juste jamais rien appris d’autre que la barbarie et la survie.
Tout se passe comme si, chez elle, seule la dignité était instinctive, à la fois "animale" et sociale.
Car un autre thème traverse le récit, en écho et en reflet à la douleur, qui semble en filigrane mais pourrait être le vrai sujet : l’affrontement irréductible des classes sociales.


 


 

Au procès, en 1966, une femme juive avait témoigné pour sa mère, qui avait péri dans l’église brûlée. Grande classe, haut capital culturel.
En 1988, quand tout sera fini, Michael lui apportera, à New York, dans son appartement de luxe, les misérables économies que Hanna, du fond de sa cellule, a léguées à cet inoubliable témoin, qu’elle peut-être fini par comprendre.


 

Si le geste est touchant, la sorte de plaidoirie qu’il va tenter de proposer est sans espoir.
Les deux femmes, Hanna la tortionnaire SS, même rédimée, et la descendante des victimes du pire holocauste de mémoire d’homme appartiennent à jamais à des mondes étanches l’un à l’autre.
Nulle compréhension, nul pardon, nulle réconciliation n’est imaginable.


 

Le sujet principal du film, c’est aussi - surtout ? - Hanna, "la dernière des femmes".

par Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma en ligne directe

1. La Pyramide de Abraham Maslow décrit une hiérarchie des besoins fondamentaux humains : les besoins physiologiques, les besoins de sécurité, les besoins d’appartenance et d’amour, les besoins d’estime et le besoin d’accomplissement de soi. Elle a été élaborée pour la première fois en 1940.


The Reader. Réal : Stephen Daldry ; sc : David Hare, d’après Der Vorleser (Le Liseur) de Bernhard Schlink ; ph : Roger Deakins et Chris Menges ; mont : Claire Simpson ; mu : Nico Muhly ; déc : Brigitte Broch et Christian M. Goldbeck. Int : Kate Winslet, Ralph Fiennes, David Kross, Bruno Ganz, Alexandra Maria Lara, Lena Olin, Volker Bruch (USA-Allemagne, 2008, 124, mn).



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