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Liberté (la) (2018)
de Guillaume Massart
publié le mercredi 20 février 2019

par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n° 392-393, février 2019

Sortie le mercredi 20 février 2019


 


Il fallait un certain culot, et une certaine forme d’inconscience ou de courage, à Guillaume Massart pour proposer un film de cent quarante-six minutes sur une prison, même si celle-ci n’a ni porte, ni grille, ni matons et qu’elle s’étale entre mer et montagne en Corse, sur la côte orientale, à Casabianda.


 

Et puis, on se dit qu’il a bien fait de prendre son temps et de capter ces paysages et ces visages qui, peu à peu, se dévoilent. Le réalisateur a planté sa caméra dans cette prison particulière, au plus près de ces prisonniers sans cellules, avec l’idée de les filmer à distance, d’examiner l’espace de cette "prison ouverte" - un tel oxymore a-t-il un sens ? Que se passe-t-il lorsque les murs de la prison deviennent invisibles ? Oxymore d’un côté, prétérition de l’autre, en intitulant La Liberté un film qui ne parle que d’enfermement.


 


 

Tout le film est une réflexion sur le langage, par son titre, par le choix d’une prison sans barreaux pour parler d’enfermement, enfin par la parole grâce à laquelle les prisonniers se libèrent de leurs geôles psychologiques.
La plupart des détenus de Casabianda sont des délinquants sexuels qui ont commis l’inceste, notamment sur des enfants. Guillaume Massart, en ouverture du film, met l’accent sur ce mot, inceste, qui est le tabou suprême de la plupart des sociétés, et cependant l’un des tout premiers à être enfreint.
Il nous précise bien dès le début, par un carton, que l’autorité pénitentiaire n’utilise pas ce mot qui fait peur, mais une périphrase officielle : "infraction sexuelle intrafamiliale" - manière bien étrange de contourner le tabou.
On pourrait croire que la justice a servi à nommer, à désigner, à détricoter ce qui a eu lieu. On aurait tort : rien n’est vraiment dit, tout est reclassé, en somme, dans des catégories qui empêchent toute subjectivation. On espère ensuite passer le relais au soin et c’est tout un autre registre de langage, médical cette fois, qui commence, auprès des médecins et des psychiatres.


 

Film sur le langage qui libère, alors que celui des autorités, dans un souci de déni et de paix sociale, enferme dans un jargon, La Liberté est un film qui donne à voir comme jamais ce qu’est l’enfermement, non pas matériel et circonstancié, mais celui qui bloque les cerveaux et fabrique des comportements et des névroses. Freud n’est pas très loin, dans cet accompagnement à la fois bienveillant et distancié que le réalisateur propose à ces détenus en souffrance qui acceptent de se raconter et d’aller très loin dans leurs souvenirs d’enfance - à la manière de Michaël, qui se confie à la caméra comme il le ferait dans le cabinet d’un psy, "pour que les choses avancent ".


 

Le film navigue sur le fil d’une parole qui est offerte pour dire son malheur, son mal-être. La caméra hésite un peu et se pose parfois sur un détail, la mer, le sable, un chat qui passe, un silence qui se prolonge, une émotion qui trouble la voix de celui qui se confie. Ce sont les "émotions du cadre", évoquées par la monteuse Alexandra Merlot, et ces émotions parviennent à faire naître une empathie pour ces prisonniers que d’aucuns pourraient condamner sans autre forme de procès.
Cette prison à ciel ouvert devient la métaphore de la solitude existentielle de l’être humain face à sa propre destinée. Ici, la mer a son importance, comme celle qui bordait les lieux des dialogues platoniciens. La Liberté apparaît alors comme un film où la parole est devenue porteuse d’un territoire concret.

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n° 392-393, février 2019


La Liberté. Réal, sc, ph, mont : Guillaume Massart ; sc : Adrien Mitterrand (France, 2018, 146 mn). Documentaire.



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