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Walkower (1965)
de Jerzy Skolimowski
publié le mercredi 10 avril 2019

par Jerzy Skolimowski
Jeune Cinéma n°8 de juin-juillet 1965

Sélection de la Semaine de la critique au Festival de Cannes 1965

En DVD chez Malavida.


 


Mon personnage - et moi de nouveau - de quelques années plus vieux.
Mon nom revient à plusieurs reprises sur les affiches de Rysopis et de Walkower (1) et il me semble, parfois, que cela peut donner une impression grotesque.

En effet, on pourrait ajouter qu’en plus du scénario, de la mise en scène, du rôle principal, j’ai épousseté les décors et porté la caméra. On peut en rire, mais c’est vrai. Je suis tout à fait incapable de rester inactif, attendre le soleil, la bonne lumière, et si je pouvais faire la différence entre un dièze et un bémol, je serais capable, pendant ce temps... Mais hélas, je ne peux me passer de compositeur.

Pourquoi est-ce ainsi que je fais les films ?
Pour Rysopis, c’était par nécessité - je jouais parce qu’il n’y avait pas de quoi payer l’acteur, j’ai monté le décor, j’ai réalisé les effets, j’ai tiré les photos, si je ne l’avais pas fait, il n’y aurait rien eu. Mais maintenant que la production est une profession, que l’État fournit les fonds, que les collaborateurs sont nombreux, je n’ai plus ce généreux prétexte. Je dois donc avouer que si je continue à travailler de cette manière, c’est parce que je ne peux pas faire autrement.


 

C’est une erreur de voir dans mes films mon autobiographie.
Bien sûr, j’ai fait l’âne, j’ai été exclu des études, il m’est arrivé de sauter le train, mais il y a bien d’autres thèmes dans mes films. On y va, on dort, on aime, on languit, ce sont là des données biographiques universelles, pas seulement les miennes.

Ainsi Andrzej Lezszczyc, le personnage de Rysopis et de Walkower, ce n’est pas moi.
C’est d’ailleurs assez amusant, non seulement du point de vie artistique, mais aussi psychologique, ce fait que je réussisse à produire des variantes à partir des tendances personnelles sans m’identifier à elles, le fait que je me regarde sur l’écran - physiquement c’est moi - dans une vie fictive, vie que je désirerais peut-être, mais dont j’ai peur, sans doute.


 

Dans Walkower, Andrzej Lezszczyc, apparaît comme un tricheur courant. Il sort de la gare simplement parce que le train s’arrête trop longtemps - peut-être parce qu’une jeune fille s’est jetée sous les roues pour se suicider, peut-être parce que Thérèse, son ancienne camarade retrouvée par hasard, lui a plu. Il joue le sentimental, mais il a les poches pleines de montres. Il traîne toute la journée derrière Thérèse, mais il devient de plus en plus évident que, s’il éprouve quelque chose pour elle, c’est de la haine.


 

Il y a dix ans, Thérèse avait 17 ans, elle était en première année à l’École polytechnique, comme Andrzej. Maintenant, elle est ingénieure, elle a du travail, un avenir alors que lui a 30 ans, aucun métier, aucun projet pour l’avenir.


 

Mais il a une idée. Le jour de son 30e anniversaire, il veut être fêté, il veut qu’on reconnaisse sa valeur. Ce jour, il va monter sur le ring, et lutter pour qu’on l’applaudisse et qu’on l’honore, mais aussi pour gagner des montres, la récompense des vainqueurs dans les métiers primitifs.


 

Ce n’est pas la première fois qu’il monte sur un ring. Il voyage maintenant en province, il est à l’affût de ce genre de victoire, qui ne demande aucun effort. Au milieu de ces êtres naïfs et braves qui acclament son premier succès, il sera toujours le héros.

Mais cette fois, va-t-il encore réussir son exploit, alors qu’il met en jeu ses 30 ans ? Et cela devant celle avec qui il a commencé, il y a 10 ans, mais qui est, à présent, forte, sûre d’elle, diplômée, récompensée, bien que plus jeune que lui de 3 ans ?
Et lui, possède-t-il encore quelque chose en dehors de ces montres dans sa poche ?
Est-elle réellement si forte, et lui réellement si faible ?
Si tous fuient, le plus courageux est celui qui fuit le dernier. Ou celui qui revient.


 

Un walkower peut faire des prouesses, on peut même être un walkower de naissance. La première scène, celle de la mort de la jeune fille sous les roues du train, le prouve. Mais on s’aperçoit, en fin de compte, qu’on n’obtient rien, nulle part, jamais, sans lutte.

Alors on s’élève contre tous ou contre tout, qu’il s’agisse de lutter pour la vie ou pour n’importe quoi, on lutte uniquement pour lutter et même si on n’a aucune chance, pour vaincre.
Tel est Andrzej Lezszczyc, le jour de son 30e anniversaire, aujourd’hui en Pologne, en 1965.

Jerzy Skolimowski
Jeune Cinéma n°8 de juin-juillet 1965
Varsovie mai 1965.

1. Le terme, en boxe, signifie "vainqueur par abandon".


* Walkower. Réal, sc : Jerzy Skolimowski ; ph : Antoni Nurzynski ; mont : J.S. & Alina Faflik ; mu : Andrzej Trzaskowski. Int : Jerzy Skolimowski, Aleksandra Zawieruszanka, Krzysztof Chamiec, Andrzej Herder, Franciszek Pieczka, Henryk Kluba, Stanislaw Zaczyk, Elzbieta Czyzewska, Janusz Klosinski, Stanislaw Tym, Marek Piwowski, Jolanta Lothe, Janusz Kondratiuk (Pologne, 1965, 77 mn).

En DVD chez Malavida.

* Signe particulier : néant (Rysopis). Réal, sc : Jerzy Skolimowski ; ph : Witold Mickiewicz ; mont : Halina Gronek ; mu : Krzysztof Sadowski. Int : Jerzy Skolimowski, Elzbieta Czyzewska, Tadeusz Minc, Andrzej Zarnecki (Pologne, 1964, 80 mn).

En DVD chez Potemkine.



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