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Meilleure Façon de marcher (la) (1976)
de Claude Miller
publié le mercredi 6 mars 2019

par Françoise Audé
Jeune Cinéma n° 93, mars 1976

Sélection officielle Perspectives du cinéma français du Festival de Cannes 1976

Sorties les mercredis 3 mars 1976, 27 août 2008 et 6 mars 2019


 


Une colonie de vacances vers 1960, en Auvergne. Il y a quinze ans.
Pourtant, dans son premier film, Claude Miller traite du présent. Un présent triste, où l’on sèche sur pied, parce qu’il y a quinze ans, les choses se passaient souvent comme il le dit.


 

Les choses ? Les choses du sexe, mais surtout celles de l’Ordre. Les enfants marchent au pas en chantant. Les moniteurs tapent le poker en blaguant. Les photos de femmes nues circulant, ainsi que les histoires grasses. Un directeur plane. Une initiative moderniste l’émoustille : la mise à la disposition des gamins d’une boîte à idées. Dérision. Dérision, car, telles des bulles à la surface d’une eau stagnante, des symptômes de vie affleurent.


 


 


 

Des symptômes de trouble. Claude Miller les observe au niveau des relations entre moniteurs. Il analyse ce qui se passe entre Marc (Patrick Dewaere), sportif et grande gueule, et Philippe (Patrick Bouchitey), le fils du directeur. Né autour de 1940, il porte le nom du Maréchal. Boy-scout d’intérieur, il monte une pièce de théâtre avec le groupe d’enfants dont il a la charge. On le voit leur parler. On le voit s’intéresser au désespoir de l’un d’eux. Rien de tel avec Marc, qui fonctionne au coup de sifflet, aux marches-promenades forcées. Marc apprécie la dureté d’une bagarre. Philippe aime Les Fraises sauvages et les livres.


 

Le hasard amène Marc à surprendre Philippe travesti en femme.
Philippe connaît une double angoisse. Il a tout lieu de craindre la délation de Marc ; mais surtout, il est rongé par les questions qu’il se pose sur lui-même. Il cherche une réponse dans le couple naissant qu’il forme avec Chantal (Christine Pascal). La jeune fille fait plus que l’aider : elle réagit et agit de concert avec lui. Il parvient ainsi à résister aux humiliations quotidiennes que lui fait subir Marc.


 


 

La tension culmine lors d’un incident transformé en cérémonie expiatoire par le directeur. Il dénonce publiquement la faute d’un moniteur chez lequel il a trouvé des photos indécentes. Personne ne discute le principe de la fouille des affaires personnelles. Personne ne se solidarise avec le jeune homme. Il semble que le consensus soit unanime pour accepter la règle du jeu du respect. Respect de l’autorité. Respect des tabous. Isolé, brisé par l’impuissance de sa révolte, le moniteur exclu s’effondre en une crise nerveuse autodestructrice.


 


 

Le drame pèse cependant sur la conduite de Philippe. Du fond de lui, il expulse la culpabilité et la soumission. Il provoque l’irruption du vrai. Il suggère l’organisation d’un bal masqué pour la clôture des vacances. Il s’y présente en travesti et il contraint Marc à danser avec lui. Il compromet celui qui le dominait. Il démasque en lui les virtualités que la morale sociale réprouve. Et il les exhibe.


 

Quinze ans après, chacun est devenu ce qu’il devait être.
Celui qui a fait scandale est en paix avec lui-même. Acquéreur d’un appartement à crédit, il est un intellectuel détendu. Celui qui prônait les valeurs saines de la virilité est dixième couteau dans une agence d’immobilier.


 

On aime le film de Claude Miller parce qu’on sait tout de ses personnages.
On sait que Marc, après l’été, a fait un long service militaire en Algérie, parachutiste ou baroudeur dans quelque commando d’élite. Peut-être a-t-il flirté avec l’OAS. Peut-être doit-il à ses relations d’alors d’être maintenant casé, rangé, promu "à la vente". Il a un costume étriqué et un porte-documents en vachette. Il est servile avec les clients éventuels. Il est marié. Il est notre contemporain.
On en sait moins sur l’itinéraire de Philippe. Peu importe : entre la répugnance à se compromettre dans la "pacification" et la coopération ou l’insoumission, entre l’Université, le culturel ou le spectacle, il a trouvé sa voie, celle de la cohérence et de la liberté.


 

La Meilleure Façon de marcher est un film-bilan.
Les jeux y sont faits. Personnages, individus, se sont choisis et sont maintenant nos partenaires sociaux. Confrontés à eux, nous n’avons d’autre alternative que l’engagement, vis-à-vis d’eux, vis-à-vis de leur époque et de ses valeurs. Vis-à-vis de nous-mêmes, aujourd’hui.

Ni fable ni allégorie, le film a l’efficacité des grands Autant-Lara : photo précise, direction d’acteurs brillante, exactitude des décors, succession de moment intenses - ceux qui, même avec une pointe de caricature, définissent les rapports de force véritables. Il heurte et réveille. Dans le ronronnement giscardien du cinéma français actuel, il fait resurgir cette qualité qui donne à des films comme Douce ou Le Diable au corps une puissance mobilisatrice définitive : l’âpreté. Dans La Meilleure Façon de marcher, pour la génération escamotée des nés-pendant-la-guerre, des derniers préposés à la farce de la défense de l’empire colonial, résonne ce cri qui ouvre Aden Arabie de Paul Nizan : "J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie."

Françoise Audé
Jeune Cinéma n° 93, mars 1976


* La Meilleure Façon de marcher. Réal, sc : Claude Miller ; sc : Luc Béraud ; ph : Bruno Nuytten ; mont : Jean-Bernard Bonis ; mu : Alain Jomy. Int : Patrick Dewaere, Patrick Bouchitey, Christine Pascal, Claude Piéplu, Marc Chapiteau, Michel Blanc (France, 1976, 82 mn).

En DVD.



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