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Misère au borinage (1933)
de Henri Storck
publié le vendredi 17 mars 2017

par Henri Storck avec Andrée Tournès
Extrait de "Henri Storck, témoin fraternel" in Rencontre avec Henri Storck (1907-1999) II
Jeune Cinéma n°189, juillet-août 1988

Cf. aussi Henri Storck, témoin émerveillé ou narquois. Rencontre avec Henri Storck (1907-1999) I
Jeune Cinéma n°188, mai-juin 1988


 


Misère au Borinage est né d’une commande du Club de l’Écran de Bruxelles. André Thirifays avait lu une brochure : "Comment on crève de faim au Levant de Mons" (nom d’un charbonnage). Je me suis rendu sur les lieux, j’ai commencé une enquête mais je me suis rapidement rendu compte que je connaissais mal ce milieu des ouvriers grévistes, des militants ardents.


 

Or Joris Ivens m’avait parlé de ses expériences de son film Komsomol (1932), de ses discussions avec les syndicats soviétiques, je savais qu’il serait enthousiasmé à l’idée de travailler sur un film de ce type-là, en toute liberté. Il m’avait raconté que, pour Philips, il n’avait pas pu pénétrer dans la vie des ouvriers mais seulement à l’intérieur de l’usine. Ici, il pouvait travailler chez les ouvriers mais nous ne pouvions pas entrer dans les charbonnages, c’était l’inverse. II avait l’expérience du monde ouvrier, il a accepté ma proposition et nous avons travaillé dans la plus parfaite harmonie, filmant ce que nous voyions. Nous n’étions pas seuls, nous étions, en quelque sorte, les techniciens du film, les capteurs d’images. Nous étions guidés par Paul Hennebert du Secours ouvrier international qui avait écrit la brochure Les Avocats du Secours Rouge et par les ouvriers qui étaient les victimes punies par les charbonnages pour avoir fait la grève l’année précédente.


 

Le grand mérite de cette collaboration entre Joris Ivens et moi, c’est la stimulation, on avait le même appareil, une Kinamo chacun, parfois un cameraman pour les deux ou trois scènes qui demandaient un peu plus de soin (nous tournions quasiment sans argent). Au départ, je pensais faire un film axé sur la misère, Joris Ivens l’a élargi aux problèmes du temps, à la crise internationale… c’était en 1933.


 

Cette dimension a permis au film d’avoir une carrière internationale et de lui donner une plus grande signification. Une des conséquences a été cet appel final à "la dictature du prolétariat". Le président du club de l’Écran voulait couper une phrase parce que les salles refusaient le film à cause d’elle. Encore aujourd’hui, elle indigne ou fait rire, et, dans les écoles où on projette le film, on coupe le son à ce moment-là parce que les parents portaient plainte. Ils étaient mécontents qu’on montre à leurs enfants un film prônant la dictature du prolétariat.


 

Le film a été très important pour nous deux. Pour Joris Ivens, un changement de cap à 180°, comme il l’a dit souvent. C’est après Borinage qu’il a fait des films de plus en plus engagés. Il avait été, en fait, violemment critiqué pour ce film par la critique néerlandaise et s’était senti rejeté et indésirable dans son pays, à cause de ses opinions.

Jeune Cinéma : Vous aviez le même âge ?

Henri Storck : Non, il avait neuf ans de plus que moi. C’était l’aîné, un aîné prestigieux qui était auréolé de son amitié avec S.M. Eisenstein et avec Vsevolod Poudovkine. Il avait déjà une grande carrière derrière lui. Zuyderzee, Philips, Komsomol, ses premiers films comme Le Pont et la pluie, des œuvres importantes. Moi, j’avais une quinzaine de films à mon actif, mais souvent des films expérimentaux, des moyens métrages poétiques et surtout moins engagés.

Henri Storck avec Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°189, juillet-août 1988


* Misère au Borinage. Réal, ph : Joris Ivens et Henri Storck ; sc : J.I., H.S., André Thirifays & Pierre Vermeylen ; mont : Helen van Dongen (Belgique, 1933, 36 mn). Documentaire, inédit en France.

Avec une suite :

* Les Maisons de la misère. Réal, mont : Henri Storck ; sc : H.S. & Fernand Piette ; ph : John Ferno et Eli Lotar ; mu : Maurice Jaubert (Belgique, 1936, 30 mn). Documentaire.



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