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Symphonie paysanne (1944)
de Henri Storck
publié le jeudi 17 mars 2016

par Henri Storck avec Andrée Tournès
Extrait de "Henri Storck, témoin fraternel" in Rencontre avec Henri Storck (1907-1999) II
Jeune Cinéma n°189, juillet-août 1988

Cf. aussi Henri Storck, témoin émerveillé ou narquois. Rencontre avec Henri Storck (1907-1999) I
Jeune Cinéma n°188, mai-juin 1988


 


En Belgique, pendant la guerre, les paysans étaient devenus des personnages de légende, des dieux nourriciers. Cinq ans plus tôt, j’avais proposé un projet au Premier ministre de l’époque, Paul Van Zeeland, le seul officiel belge qui se soit intéressé au cinéma. Ce projet était un film consacré à la vie des paysans durant les quatre saisons de l’année. Mais il n’intéressa pas notre Premier ministre qui aurait préféré que je tourne un film sur les Ducs de Bourgogne. Il repoussa aussi avec horreur un autre de mes projets consacré à la fameuse légende de Till l’Espiègle. Il faisait remarquer que le livre de Charles De Coster était à l’index du Vatican, que c’était l’œuvre d’un franc-maçon.
Après la guerre, sous la direction de Joris Ivens, Gérard Philipe a interprété ce héros de la résistance des gueux (1). Les Soviétiques en ont tiré aussi un film superbe. Il faut dire que cette œuvre était très connue en Russie. Des amis à moi qui travaillaient à la Corporation nationale de l’agriculture et de l’alimentation relancèrent mon projet et je pus y donner suite.


 

J’étais curieux de tout ce qui concernait la vie des paysans, le rythme des saisons, l’élevage du bétail, les semailles, les récoltes. Tout cela m’intriguait. J’ai découvert que la vérité des paysans était de jouer avec les caprices du temps, de prévoir les tempêtes, les orages qui détruisaient les moissons, etc. Lutte épique et qui les obligeaient à vivre les pieds sur terre mais la tête dans le ciel et les nuages. J’ai été fasciné par ces activités et j’en ai tiré cinq courts métrages consacrés aux quatre saisons de l’année et le cinquième à un mariage paysan et à des coutumes folkloriques.


 

Au premier abord, le paysan est méfiant - il a été si souvent trompé par les gens de la ville et si souvent moqué et humilié - mais j’ai été conquis par leur sensibilité et leur pudeur, leur amour des bêtes et des plantes, le rythme de leur vie qui les mettait en étroite harmonie avec le rythme de la nature. Les animaux par exemple : ils leur parlent, surveillent leur santé, vivent avec eux, dorment avec eux.

Dans ce film, je n’ai pas abordé les problèmes sociaux, j’ai montré la vie des ouvriers saisonniers mais sans parler de leurs revendications, qui d’ailleurs ne s’exprimaient pas. Je n’ai pas montré non plus les problèmes d’hectares qui se posent lors de mariages, les problèmes de propriété, qui les préoccupent, mais ils ne sont pas l’essence de leur existence, ce qui les passionne par-dessus tout c’est de créer la vie. Cela c’était il y a plus de quarante ans. On produit maintenant à l’aide d’ordinateurs. Mon film est devenu pour les jeunes paysans un document historique, une image d’un Moyen Âge lointain.
En pleine atmosphère apocalyptique de la dernière guerre, au milieu du fracas des bombes et de la barbarie organisée, j’ai fui à la campagne pour y jouer un mélancolique air de flûte.


 

Le film a été terminé en 1944, il m’avait pris deux ans de travail. Pierre Moulaert a écrit une musique que j’aime beaucoup mais, hélas, le commentaire a beaucoup vieilli et sa naïveté et ses effets poétiques font sourire aujourd’hui. J’avoue m’être sévèrement trompé. En outre, je ne me suis pas rendu compte que le ton du speaker, pourtant un acteur de grand talent, manquait de naturel ou plutôt qu’il était d’un faux naturel. Le commentaire, éternelle faiblesse du film documentaire...

Henri Storck avec Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°189, juillet-août 1988

1. Les Aventures de Till l’Espiègle de Gérard Philipe & Joris Ivens (1956). C’est le seul film que Gérard Philipe a réalisé.


Symphonie paysanne (Boerensymfonie). Réal, mont : Henri Storck ; sc : H.S., Marie Gevers & Jacques de Schryver ; ph : H.S., Charles Abel, Maurice Delattre & François Rents ; mu : Pierre Moulaert. Narrateurs français : Marie Gevers, Marcel Josz ; narrateurs hollandais : Frans Robberechts, Paul Rock, Gaston Vandermeulen. Film en cinq parties : Le Printemps (31 mn) ; L’Été (23 mn) ; L’Automne (20 mn) ; L’Hiver (22 mn) ; Noces paysannes (19 mn) (Belgique, 1942-1944, 116 mn). Documentaire, inédit en France.



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