par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe
Sélection de la Berlinale 2016
Sortie le mercredi 27 mars 2019
Le troisième long métrage du réalisateur uruguayen Alvaro Brechner est un petit chef-d’œuvre, qui permet à la fois de comprendre l’histoire récente de son pays - et notamment la stratégie de la dictature militaire - et le fonctionnement de l’esprit humain. Compaňeros, comme le précise son auteur, est avant tout un voyage vers les ténèbres. Ce film raconte l’histoire véridique de trois personnages que l’on a dépossédés, douze ans durant, de tout ce qui les définissait en tant qu’individus. On les a soumis à une dégradation mentale et physique visant à anéantir leur résistance la plus intime.
Ces trois hommes ont su ne pas devenir fous dans ces conditions, en établissant entre eux un mode de communication, cognant sur les murs de leurs prisons qui changeaient sans cesse. Militants du mouvement révolutionnaire des Tupamaros, Mauricio Rosencof, Eleuterio Fernandez Huidobro et José Mujica sont devenus des hommes politiques importants après la chute du régime militaire, dans les années 80. Le troisième devint même président de l’Uruguay en 2010 et demeure une figure emblématique de la résistance et de la probité.
Il y a longtemps qu’on ne nous avait proposé un film (par ailleurs remarquablement réalisé et interprété) aussi radical et puissant dans sa dénonciation d’un régime politique. Au-delà de sa dimension psychologique, Compaňeros est aussi une manière de mettre en scène les rouages du fascisme ordinaire lorsqu’il était encouragé par l’armée dans ces années sinistres (1970-1980) qu’ont connues la plupart des pays d’Amérique latine, comme le Chili ou l’Argentine - et que l’on craint de voir revenir, là et ailleurs.
À travers ses personnages bien dessinés, pour la plupart du temps muets dans leur solitude et leur enfermement, Alvaro Brechner, grâce à un scénario étoffé, parvient, deux heures durant, à donner à son film un souffle qui donne du sens à la révolte, à la résistance et à la puissance de l’esprit.
Parmi ces trois hommes, Mauricio Rosencof, interprété par Chino Darin, est un romancier, poète et journaliste qui deviendra plus tard directeur de la Culture de la municipalité de Montevideo.
Ce film, à la fois optimiste et noir, lève l’ombre sur cette période durant laquelle le peuple uruguayen a souffert. Ce que décrit en substance Brechner, c’est la vanité du pouvoir de la tyrannie, mais aussi la puissance de certains lorsqu’ils veulent conduire un pays vers la lumière.
Justement servi des acteurs formidables comme Alfonso Tort ou Antonio de la Torre, qui campe un incroyable José Mujica, Compaňeros est un film qui marque les esprits et qui permet d’espérer le retour vers la conscience politique d’un monde trop orienté désormais vers la consommation.
Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe
Compaňeros. Réal, sc : Alvaro Brechner ; ph : Carlos Catalan ; mont : Nacho Ruiz Capillas ; mu : Silvia Perez Cruz, Federico Jusid. Int : Antonio de la Torre, Chino Darin, Alfonso Tort, Soledad Villamil, Ceasr Troncoso (Uruguay-Espagne-France-Argentine, 2016, 122 mn).