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Synonymes (2018)
de Nadav Lapid
publié le mercredi 27 mars 2019

par Claudine Castel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection de la Berlinale 2019. Ours d’or.

Sortie le mercredi 27 mars 2019


 


Le film de Nadav Lapid, hué mais récompensé à Berlin, est son œuvre la plus personnelle, puisqu’elle s’inspire de sa propre expérience. Provocatrice, dérangeante, elle est une mise à l’épreuve critique de l’identité israélienne et de la mythologie du héros.
Les thèmes de ses films précédents (1) y réapparaissent.


 


 

Yoav, ancien soldat des unités spéciales israéliennes, est en rupture avec son pays. Paris devient la ville refuge, où se dépouiller de l’hébreu, être un autre en coulant sa pensée, ses émotions dans la langue française, virent à l’obsession.


 


 

Se dépouiller passe par le corps mis à nu, tant au sens figuré que littéral. Dépouillé de ses effets, la nuit, par un voleur invisible, c’est nu et inanimé que le découvrent ses voisins, Émile (2) et Caroline. Le corps nu revient ostentatoire, immanent à son existence apatride, expression du dénuement et non plus objet de narcissisme comme dans Le Policier, centré sur le culte de la virilité. Exhibé dans une séquence de filmage monnayé, il se laisse asservir, avilir comme un refus masochiste de son pouvoir de séduction. En mouvement, il mène la danse et impulse le rythme du film. Il marche dans Paris, le regard rivé au trottoir.


 


 


 

Sur un pont, Émile lui fait remarquer qu’il y a de la perversion à ne pas regarder les beaux paysages. Lapid filme le Paris de son personnage, banal, loin des clichés. On le voit sur les ponts et l’on sait qu’il reste "au milieu du gué", qu’il est inapte à s’intégrer et à relier les deux cultures. La culture française convoitée lui résiste, sa culture d’origine, en dépit de son farouche déni, marque sa différence. Deux personnages romanesques.
Émile est un jeune bourgeois, écrivain dilettante : "L’ennui structure ma vie". Il dit de Caroline, qui pratique le hautbois, qu’elle "a un engouement tragique pour cet instrument." Séduction et tension régissent les relations du trio.


 


 

En échange de leur aide, Yoav fait don de ses histoires d’enfance à Émile, en mal d’inspiration. On songe au poète Solomos achetant des mots grecs aux habitants de Zante. (3) Il vitupère contre son pays en égrenant les synonymes péjoratifs, une incantation vouée à l’échec.


 

Yaron, son collègue employé à la sécurité du consulat, représente son antonyme et son passé. "L’Europe est un nid de vipères, surtout la France" dit-il. Dans le métro, coiffé de la kippa, il fredonne avec agressivité l’hymne israélien en dévisageant un à un les passagers. En écho, Yoav, dans un cours d’éducation civique en vue d’acquérir la nationalité française, se met à hurler crescendo La Marseillaise. Ici comme là-bas, le même rejet du roman national.


 


 

Un flashback burlesque le montre s’entraîner au tir avec les soldats, le jeu consistant à deviner sur quelle chanson la mitrailleuse est rythmée, pour l’un, les Pink Floyd, et, pour lui, les Pink Martini, "Je ne veux pas travailler". Nadav Lapid louvoie avec la vraisemblance pour décrire un itinéraire fantasmé qui ressemble au sien dans les détails autobiographiques. La pauvreté révélée dans l’anatomie d’un repas à 1€28, un portrait de Bonaparte sur le mur d’un logis minable, la lecture du dictionnaire. Il alterne les scènes magistralement composées et les plans de l’errance, filmés avec une caméra bon marché pour traduire l’instabilité du personnage. Tom Mercier, son étonnant interprète et alter ego, est resté vivre en France.
Synonymes devrait déplaire à la ministre de la Culture israélienne qui fut la porte-parole de Tsahal, d’autant qu’il a bénéficié du soutien de son ministère.

Claudine Castel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. La Petite Amie d’Émile (Ha-Chavera Shell Emile) Sélection Cinéfondation du festival de Cannes 2006) ; Le Policier (Ha-shoter), sélection Locarno 2011 ; L’Institutrice (Haganenet, 2014).

2. L’ami parisien de Yoav s’appelait déjà Émile dans La Petite amie d’Émile.

3. L’Éternité et un jour (Mia aioniotita kai mia mera) de Théo Angelopoulos (1998).


Synonymes. Réal : Nadav Lapid ; sc : : Nadav Lapid, Haïm Lapid ; ph : Shaï Goldman ; mont : Era Lapid, François Gédigier. Int : Tom Mercier, Quentin Dolmaire, Louise Chevillotte (France-Allamegne-Israël, 2018, 123 mn).



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