par Nicolas Villodre
Jeune Cinéma en ligne directe
Sortie le mercredi 3 avril 2019*
Le plus grand acteur japonais de l’histoire du cinéma - du niveau d’un Mosjoukine, d’un Raimu, d’un Jannings -, célèbre au pays du Soleil levant et à l’extérieur grâce à ses rôles dans Rashōmon (1950) et Shichinin no samurai (1954) de Akira Kurosawa, Toshirō Mifune, décida en 1963 de passer lui-même à la production et à la réalisation. Gojūman-nin no isan, L’Héritage des 500 000 (connu aussi sous le titre Legs des 500 000) sera sa seule mise en scène, tandis que sa société continuera à coproduire films et épisodes de téléfilms jusque dans les années 80.
L’éventail - accessoire indispensable au théâtre japonais, au Nô et au Kabuki, aux cérémonies bouddhistes et shintō, aux danses de geishas et aux arts martiaux -, ne permet pas, comme dit un proverbe local, "de chasser le brouillard", mais peut servir de métaphore à l’éventaire ou inventaire filmique de sa maison de production. Tout se passe comme si ce long métrage illustrait un catalogue de genres, puisqu’il relève à la fois du film de guerre, d’espionnage, d’aventure, de gangsters et de samouraïs modernes.
L’intrigue est celle d’un quatuor de malfrats en quête d’un butin de pièces d’or dissimulées dans la jungle philippine par une armée japonaise en déroute, au terme du conflit 39-45.
Le commanditaire de cette chasse au trésor force un cadre d’entreprise, ancien commandant d’intendance lors de cette opération, qui avait voulu faire son son deuil du trésor et des 500 000 victimes nippones de la guerre du Pacifique, à mener à bien ce projet.
Le scénario est de Ryûzô Kikushima, auteur prolifique, notamment pour quantité de longs métrages de Kurosawa - dont Yojimbo / Le Garde du corps (1961), interprété par Mifune, qui aurait fortement influencé Per un pugno di dollari (1964) de Sergio Leone.
Le personnage de guerrier égaré, de demi-solde en disgrâce d’un empire lui-même sur le déclin aurait donc inspiré celui du cowboy sans foi ni loi qui lança et la formule western-spaghetti et la carrière de Clint Eastwood, avant que celui-ci ne passât lui-même à la catégorie d’auteur. Un fameux ministre de la Culture mitterrandien qui décorait à tour de bras gloires surfaites et stars et starlettes hollywoodiennes passant à sa portée, y inclus la créature de Leone, ne fit pas le déplacement, salle Lotte Eisner, à Chaillot, pour agrafer une décoration sur la poitrine de Mifune, tâche dont s’acquitta un cadre de la Cinémathèque française, André Rieupeyrout.
Il faut bien reconnaître que le film de Toshirō Mifune, s’il traite de trésor irrévélé, n’en est pas vraiment un.
Il s’agit plutôt d’une curiosité esthétique, d’une fable s’inspirant de Greed (1), mais filmée comme une série B. L’Héritage des 500 000 fut tourné en studio (celui de Takarazuka Films, une filiale de la Tōhō, d’après la scripte du film, Teruyo Nogami) et aussi in situ, aux Philippines, avec des moyens conséquents, en CinémaScope noir & blanc - une mode passagère.
On y trouve donc les tics d’une époque, comme ces transitions assurées par des volets latéraux, de jardin à cour ou ces coups de zoom soudains qui permettaient d’économiser temps et matériel - bogies, rails et dollies. Le sujet l’exigeant, le nationalisme perce l’arrière-fond idéologique d’une histoire qui cherche à s’écrire avec un h majuscule.
Heureusement, reste Toshirō Mifune comédien.
Son jeu est laconique, donc ambigu, donc imprévisible. Silencieux comme celui d’un acteur du muet incarnant le samouraï qui fascina Melville, taciturne, sans le moindre sourire, Mifune est sobre, pour ne pas dire minimaliste. Son corps, sa mine disent le plus. Avec le moins d’effets.
Nicolas Villodre
Jeune Cinéma en ligne directe
* Selon IMDB, le film a été présenté pour la première fois en France à l’Institut Lumière, le 21 décembre 2018.
Il est disponible en DVD chez Carlotta.
1. Greed (Les Rapaces) de Erich von Stroheim (1924).
L’Héritage des 500 000 (Gojūman-nin no isan). Réal : Toshirō Mifune ; sc : Ryuzo Kikushima ; ph : Takao Saito ; mont : Shuichi Anbara, Akira Kurosawa ; mu : Masaru Sato. Int : Toshiro Mifune, Tatsuya Nakadai, Tatsuya Minashi, Tsutomu Yamazaki (Japon, 1963, 97 mn).