par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°173, mars-avril 1986
Sélection de la Mostra de Venise 1985
Prix du Jury, Prix du meilleur acteur pour Robert Duvall
Sorties les mercredis 19 février 1986 et 10 avril 2019
Bien que réalisé avec un financement et avec des interprètes majoritairement américains, ce dernier film de Jerzy Skolimowski ne peut se regarder comme la première contribution d’un immigré polonais aux mythes hollywoodiens.
Par son sujet adapté d’un roman allemand, par son style, Le Bateau-phare n’a pas grand chose de hollywoodien dans sa facture. Certes les huis-clos en mer, les rapports père-fils ont déjà été portés à l’écran par de grand réalisateurs américains, mais le jeu des comparaisons n’éclaire guère le film qui reste, à le voir et revoir, une œuvre totalement personnelle.
L’histoire est toute simple, celle d’un bateau-phare qui sert de repère au large des côtes américaines et qu’un homme un peu fou, aidé de deux imbéciles, prend en otage avec, en fin de compte, l’intention de lui faire lever l’ancre pour tromper les autres navires.
Cet enjeu moral, qui consiste, pour le capitaine à résister, se double d’un enjeu psychologique, celui de se réhabiliter aux yeux de son fils embarqué dans la même aventure.
La façon dont Skolimowski résout ces deux problèmes est un modèle de sobriété.
Peu de retournements spectaculaires, et pourtant un tension toujours entretenue par une alternance de moments où l’on passe de l’humour au tragique. Le travail des acteurs - Duvall en vilain plein d’élégance, Brandauer en capitaine qui trouve sa rédemption - est exemplaire.
Le fils (Michael Lyndon) parle peu, et derrière son regard inexpressif et impitoyable, celui d’un adolescent qui cherche à acculer son père dans sa culpabilité passée, Skolimowski fait transparaître la dimension morale de son film. Par la voix off du fils, c’est le cinéaste qui parle pour exprimer une idée forte, celle de la nécessaire permanence des valeurs à défendre coûte que coûte pour préserver ce qu’il y a d’humain dans la société.
On peut aller chercher plus loin encore les dimensions politiques de cette fable, et les origines polonaises de Skolimowski amèneront plus d’un commentateur à y aller de son petit couplet.
Il semble que plutôt que de se livrer au jeu de l’élucidation à tout prix du film et de ses intentions, il vaut mieux lui garder sa dimension culturelle, celle d’une fable où, tout autant que la morale, compte tout ce qui la précède, en particulier la façon magistrale avec laquelle Skolimowski nous amène à son dénouement.
À aucun moment Le Bateau-phare n’apparaît démonstratif, il n’a rien non plus d’un exercice de style. C’est le Skolimowski tranchant, tendu que nous aimons, habité par des images qui sont aussi des idées.
Bernard Nave
Jeune Cinéma n°173, mars-avril 1986
Le Bateau-phare (The Lightship). Réal : Jerzy Skolimowski ; sc : William Mai et David Taylor d’après le récit de Siegfried Lenz, Das Feuerschiff (1960) ; ph : Charly Steinberger ; mont : Scott Hancock & Barrie Vince ; mu : Stanley Myers. Int : Robert Duvall, Klaus Maria Brandauer, Tim Phillips, Arliss Howard, William Forsythe, Michael Lyndon, Robert Costanzo, Tom Bower, Badja Djola (USA, 1985, 89 minutes).