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London (1992) - Robinson dans l’espace (1997)
de Patrick Keiller
publié le mardi 6 juin 2017

par Jacques Chevallier
Jeune Cinéma n°284, septembre 2003
et
Jeune Cinéma n°361-362, automne 2014

Sortie le mercredi 13 août 2003


 

Pour saluer son cinquantenaire, Jeune Cinéma a posé une question à ses collaborateurs : Quel film des cent dernières années aimeriez-vous sortir de l’ombre ?
Ce film fait partie des hidden gem que Jeune Cinéma avait déjà sélectionnés à leur sortie. Jacques Chevallier a continué à en faire sa priorité.


Il y a un peu du Luis Buñuel de Las Hurdes et du Jean Vigo de À propos de Nice dans la manière dont Patrick Keiller décrit Londres.
Plans fixes, comme "indifférents", des mutations du paysage urbain, examen clinique de la ville, des sites industriels à l’abandon, des quartiers pauvres, confrontation abrupte de la misère, du luxe et d’un décorum désuet, relevé des traces d’une mutation industrielle et commerciale qui éloigne de plus en plus la capitale de son passé…


 

Sur ces images d’une banalité soigneusement élaborée sur le plan photographique, le réalisateur plaque un commentaire faussement touristique dont l’humour, à base d’understatement, est "ignoré" - et donc servi - par la voix du comédien Paul Scofield.

Patrick Keiller ne cache pas non plus son penchant pour les détails oiseux, les statistiques et les recensements. Pourquoi faire la minutieuse addition des ministres sortis de la célèbre public school d’Eton ? Pourquoi pas ?
Le récit, sa mise en images ne sont donc pas sans "distance" à l’égard du réel.


 

Documentaire subjectif, mais issu d’un point de vue (parfaitement) documenté. Au fil des pérégrinations d’un invisible compagnon enquêteur (Robinson), ce sont des pans obscurs, ignorés, de la capitale britannique que Patrick Keiller met à jour. Obscurs, mais parfois lumineux : le réalisateur n’a de cesse de repérer aussi des lieux chargés d’émotion sur le plan artistique. Lieux de vie, de rencontres. Et de citer Apollinaire, Rimbaud, Verlaine, Shelley, Defoe... ou encore - autre clin d’œil aux "enquêtes" de son Robinson - Conan-Doyle.


 

Dans ce film qui décrit sans complaisance la matérialité d’une ville définie comme "la moins accueillante et la plus réactionnaire des capitales", ces repères-là ne sont pas anecdotiques, mais bien signes de la permanence et de la nécessité du rêve, de la poésie, de l’utopie.


 

London a été tourné en 1992, les conservateurs avec John Major étant au pouvoir. Quelques années plus tard, ils l’ont perdu, mais les problèmes restent les mêmes.
Robinson (à nouveau guide du voyage) dans l’espace élargit le tableau à l’Angleterre. Une Angleterre en crise comme sa capitale. Plus ambulatoire que jamais, son "étude" conduit des mines qui ferment aux vieilles usines en faillite ou aux nouvelles (Toyota, Daewoo) qui s’invitent sur le sol anglais, des ports qui périclitent aux centres commerciaux qui s’étalent tapageusement dans les banlieues, des prisons ici aux prisons là, anciennes et nouvelles.
Car, comme le signale en passant Robinson, la Grande-Bretagne est "le pays où le marché du travail est le plus libre d’Europe et la population carcérale la plus nombreuse".

Jacques Chevallier
Jeune Cinéma n°284, septembre 2003



L’espace filmique est toujours une fiction, même quand le film est un documentaire, réaffirme Patrick Keiller, cinéaste-architecte. Et sa caméra subjective le confirme.
Il cite La Jetée de Chris Marker. Dans sa manière, il y a aussi un peu du Luis Buñuel de Las Hurdes et du Jean Vigo de À propos de Nice.
C’est la rencontre d’une nouvelle objectivité et du monologue intérieur qui font le charme ineffable des documentaires de Patrick Keiller.


 

Dans Londres, "la moins accueillante et la plus réactionnaire des capitales" (1993), puis dans toute l’Angleterre en crise (1997), au fil des pérégrinations d’un invisible compagnon enquêteur (Robinson), il dresse un état des lieux clinique, à la fois ironique et mélancolique.

À travers des plans fixes, comme "indifférents", sa caméra visite les sites industriels à l’abandon et les mines fermées, les quartiers misérables côtoyant luxe et décorum désuet, les vieilles usines en faillite et les nouvelles (Toyota, Daewoo), les ports en déshérence et les centres commerciaux tapageurs, les prisons par-ci, les prisons par-là, les anciennes et les nouvelles.


 

Sur ces images d’une banalité soigneusement élaborée, le réalisateur plaque un commentaire faussement touristique, lesté de chiffres, statistiques et recensements, dont l’humour, à base d’understatement, est "ignoré" - et donc servi - par la voix du comédien, Paul Scofield.


 

Ce sont des pans obscurs qu’il met à jour, obscurs mais parfois lumineux. Car le réalisateur n’a de cesse de repérer les lieux chargés d’émotion, lieux de vie et de rencontres.
Et de citer Apollinaire, Rimbaud, Verlaine, Shelley, Defoe, ou encore - autre clin d’œil aux "enquêtes" de son Robinson - Conan-Doyle.

Au passage, Robinson signale que la Grande-Bretagne est "le pays où le marché du travail est le plus libre d’Europe et la population carcérale la plus nombreuse".

Jacques Chevallier
Jeune Cinéma n°361-362, automne 2014

*Cf. aussi Entretien avec Patrick Keiller, Jeune Cinéma n°284, septembre 2003

** Coffret Patrick Keiller chez Ed Distribution.


London. Réal, sc, ph : Patrick Keiller ; mont : Larry Sider ; narrateur : Paul Scofield (Grande-Bretagne,1992, 80 mn).
Documentaire.

Robinson dans l’espace (Robinson in Space) . Réal, sc, ph : Patrick Keiller ; mont : Larry Sider ; narrateur : Paul Scofield (Grande-Bretagne, 1997, 80 mn).
Documentaire.



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