par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n° 394, mai 2019
Sortie le mercredi 1er mai 2019
La vie des femmes après 50 ans, après les enfants et après la séparation du couple, est un véritable sujet de société et une source d’inspiration très fréquente dans le cinéma d’aujourd’hui. Thématique récurrente en écho aux voix qui s’élèvent contre le boycott des actrices de cet âge et l’absence de rôle pour elles dans les scénarios.
Deux films, qui viennent de sortir, explorent le sujet : Gloria Bell, remake de Gloria, (1) un film d’amour et de drame du réalisateur chilien Sebastian Lelio et Retour de flamme, une comédie romantique de Juan Vera, premier long métrage du jeune réalisateur argentin. Ces deux films aux scénarios assez formatés face à l’attitude du couple, à la séparation, aux enfants éloignés, reflètent la situation des femmes âgées, et, qui plus est, actrices, condamnées à la solitude et à l’exclusion.
Dans Gloria Bell le divorce est consommé, Gloria vit seule, elle sort et danse beaucoup, s’enivre de musique, boit un peu et cherche l’aventure. Son jeu est fondé sur la séduction, l’amour de la vie et du temps présent, ponctué parfois d’inquiétude pour sa fille partie vivre en Australie, mais qu’elle voit régulièrement sur skype.
Pour Gloria (Julianne Moore), cependant, retrouver, le temps d’une soirée, son ancien mari la plonge dans une nostalgie amoureuse. Mais rencontrer Arnold (John Turturo) la bouleverse véritablement. Les tumultes de sa vie l’entraînent tous les soirs dans les dancings pour célibataires de Los Angeles où elle se laisse aller à la danse et à l’oubli. C’est un film musical et rythmé, dans lequel la réflexion cède la place à un vertige ininterrompu du corps qui se libère et se délivre, sans pour autant acquérir satisfaction et équilibre.
Dans Retour de flamme (2) au titre banalement évocateur, Ricardo Darin interprète Marcos, un homme d’âge mûr et Mercedes Moran, sa femme Ana : vingt ans de vie commune, la perte du désir. À première vue, le scénario est d’une sobriété aussi simpliste qu’ennuyeuse. Mais à y regarder de plus près, cette clarté soudaine à considérer le couple sans désir, crée un espace narratif d’une délicatesse et d’une saveur singulières. Ainsi, sans mensonges ni adultère, sans heurts ni révolte, un couple peu à peu oublie sa raison d’être et, d’un commun accord, chacun, en se séparant tente de retrouver la fameuse "flamme" perdue. Deux heures durant, le délitement d’un amour se développe et s’épanouit dans la sérénité et la douceur, pimenté d’aventures glanées çà et là, au gré des consentements, sans ferveur ni emportement.
Ce lent continuum doux et bienveillant, mené par deux acteurs extraordinaires, maintient le spectateur dans une contemplation fascinée et curieuse et le confronte à la vie facile comme un jeu, dans lequel l’humour et la distance enrichissent l’enjeu romantique. Face à la (relative) vacuité du sujet, Juan Vera tisse une réflexion non dénuée d’intérêt sur la vie quotidienne à deux et son devenir après le départ du fils, avec qui, comme il se doit, on communique sur skype...
Alors que Juan Vera interroge l’existence du couple, sa tentation de l’ailleurs, sa fragilité et finalement (et pourquoi pas ?) sa possible réussite, Sebastian Lelio interroge l’existence de la femme libre, la dépeint telle qu’il l’imagine et interroge l’amour.
Deux situations de femmes incarnées par deux actrices d’exception, qui interprètent ces rôles avec élégance, grâce et beauté face à l’amour qui n’a pas d’âge.
Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n° 394, mai 2019
1. Gloria de John Cassavetes (1980), avec Gena Rowlands.
2. Retour de flamme, sortie le mercredi 8 mai 2019.
* Gloria Bell. Réal, sc : Sebastian Lelio ; sc : Alice Johnson Boher ; ph : Natasha Braier ; mont : Soledad Salfate ; mu : Matthew Herbert. Int : Julianne Moore, John Turturro, Caren Pistorius, Michael Cera (USA, 2018, 101 mn).
* Retour de flamme (El amor menos pensado). Réal, sc : Juan Vera ; sc : Daniel Cuparo ; ph : Rodrigo Pulpeiro ; mont : Pablo Barbieri Carrera ; int : Ricardo Darin, Mercedes Moran, Claudia Fontan, Jean-Pierre Noher (Argentine 2018, 136 mn).