par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n° 394, mai 2019
Sortie le mercredi 22 mai 2019
Un pont au tournant des bois, une voiture, portes ouvertes, garée près d’un abri et une femme retrouvée morte dans le ravin. Plan fixe de nuit qui revient comme leitmotiv d’une tragédie inexpliquée.
David (Fabrizio Rongione), père de deux enfants, amoureux de sa femme Julie (Natacha Régnier), est interrogé par la police. Alors qu’il revient de vacances dans les Vosges avec ses amis, de convocations en interrogatoires se fabrique un lent processus de suspicion. Seuls Noël (Baptiste Lalieu), son plus fidèle ami, et Marco (Christophe Paou), son avocat, manifestent envers lui un soutien indéfectible.
Comme son titre l’indique, le film démontre, tout au long de la narration, la vulnérabilité d’un être face à la confiance puis à la défiance qu’on lui accorde, puis celle, plus fragile encore, face au doute non résolu. La musique de Vincent Liben apporte à l’image, souvent muette, des notes graves, sourdes, répétitives, irriguant l’atmosphère d’une charge inextricable et opaque.
Le jeu de Fabrizio Rongione est étonnant d’ambiguïté, ne laissant visibles que d’infimes éléments d’une expressivité réservée, presque indifférente à la reconstitution d’une vérité plausible. La découverte de sa double vie renforce le trouble du personnage et, jusqu’au bout, l’incertitude perdure quant à son innocence.
La réussite tient non seulement à la démonstration subtile de la part d’ombre de David, mais aussi à celle du film, dans son obscurité récurrente qui frappe méthodiquement les esprits et parvient à créer une instabilité de plus en plus prégnante. Le visage lumineux de Natacha Régnier irradie de sa bienveillance les différentes scènes, aussi bien celles du quotidien du couple que celles de la vie sociale, laissant croire jusqu’à la fin à l’innocence de David.
Suspense psychologique magistralement mené, alternant flashsback en plans fixes et images du présent en plans rapprochés sur les personnages et les visages, diffusant subtilement le doute par les jeux de regards, les mots échangés, les attitudes introverties, découragées ou mystérieuses de David.
Samuel Tilman, formé auprès des frères Dardenne, de Joaquim Lafosse et de Tonie Marshall, a signé là un premier long métrage prometteur.
Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n° 394, mai 2019
Une part d’ombre. Réal, sc : Samuel Tilman ; ph : Frédéric Noirhomme ; mont : Thijs Van Nuffel ; mu : Vincent Liban ; int : Fabrizio Rongione, Natacha Régnier, Baptiste Laliou, Myriem Akheddiou, Christophe Paou, Yoann Blanc. (France-Belgique-Suisse, 2018, 90 mn).