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Volver (2006)
de Pedro Almodóvar
publié le lundi 16 juin 2014

par René Prédal
Jeune Cinéma n°303-304, été 2006

Sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 2006.
Prix des meilleures actrices à l’ensemble du casting féminin et Prix du meilleur scénario

Sorties les mercredis 19 mai 2006 et 19 juin 2019


 


Volver, c’est-à-dire "revenir" en espagnol : beau titre pour une histoire, commencée par des apparitions de faux fantômes, qui aboutit aux bouleversantes retrouvailles d’une mère et de sa fille.


 

Au passage, il y aura eu un cadavre encombrant (comment s’en débarrasser ?) et un lourd secret de famille (que ne parviendra pas à percer une méprisable émission de télé-réalité) composant un beau mélodrame choral pour six femmes au bord de quelque nouvelle crise de nerfs, fort justement récompensées à Cannes par un prix collectif d’interprétation.
Il est donc également question d’héritage et de transmission, biologique (trois générations), sociologique (la rudesse de la Mancha rurale d’hier gagnée peu à peu par la modernité urbaine) et cinématographique (de Carmen Maura à Penélope Cruz, comme de l’arrivée d’une équipe de tournage d’un film qui enrichit le petit restaurant à la description d’un plateau de télévision qui fait éclater la crise).


 

C’est dire qu’une fois de plus le scénario de Pedro Almodovar (également couronné par le jury) est d’une grande richesse, magistralement mis en scène assez loin des discordances de la Movida des années 80 dont l’esprit iconoclaste demeure davantage que l’agression plastique (à part les rouges toujours flamboyants).


 

Volver cultive les sentiments forts, les situations raides, les émotions violentes et le parler franc de battantes, affrontant crânement les difficultés de l’existence décrites par un montage cut d’images saisissantes. Almodovar nous parle polyphoniquement au moyen de cinq voix au ton et au discours modulés par l’incarnation très concrète, à la fois douloureuse et chaleureuse, des personnages dans une saga familiale compliquée.

Comme toujours, Almodovar situe à l’intérieur de contextes naturalistes les aventures un peu folles de protagonistes d’une grande humanité, tout son art consistant à fondre ces éléments de natures contradictoires en un style linéaire simple et néanmoins très personnel. Son secret réside dans une sincérité et une liberté totales. Sa vérité, c’est justement ce naturel avec lequel il peut s’impliquer aux niveaux de création les plus disparates : réel, imaginaire, fantaisie, comme cœur, esprit et chair. C’est son côté Godard : la fiction naît de la conjugaison d’inspirations diverses - une observation, un souvenir, une lecture, une réflexion, un rêve, une sensation, une discussion, le tout stylisé et exacerbé (pour reprendre des termes que le cinéaste emploie volontiers pour définir sa façon de donner à voir la réalité) dans des haines et des passions (véritable cannibalisme meurtrier ou amoureux) qui dotent les anecdotes les plus triviales d’une dimension quasi mythique.


 

L’insolite et le paradoxe sont transportés par le vent dès les images introductives d’un cimetière investi par une foule de femmes, pimpantes et jupes légères, faisant le ménage sur les tombes. Nouvelle représentation de quelque ardente prolétaire néoréaliste zavattinienne (on aperçoit Anna Magnani dans Bellissima passant à la télévision madrilène), la Raimunda (Penélope Cruz) mène d’abord l’intrigue avec sa beauté, son sacré tempérament, sa force d’homme et son cœur d’or.


 

Mais la "résurrection" de sa mère donnée pour morte et désirant se faire pardonner par sa descendance lui ravit bientôt le rôle principal de cette histoire de femmes passant constamment du drame à la comédie. Que Raimunda, alors qu’elle urine assise sur la cuvette des cabinets, sente la présence du fantôme de sa mère en reconnaissant l’odeur de pet qui l’accompagnait si souvent de son vivant nous rappelle en effet que l’atmosphère d’un film de Almodovar ne sera jamais celle de l’œuvre de Bergman (plutôt Buñuel ou Pasolini, plus volontiers scatologiques).
D’ailleurs, alors que le temps allait enfin permettre le travail de deuil de Raimunda bien que le corps de la mère n’ait jamais été retrouvé (et pour cause !), son retour, bien vivante, ne manque pas d’humour dans un film qui multiplie les situations à forte teneur psychanalytique, traitées au premier degré, sans ménagement ni provocation mais d’une manière frontale, par un cinéaste singulier au sommet de son art.

René Prédal
Jeune Cinéma n° 303-304, été 2006


Volver. Réal, sc : Pedro Almodovar ; ph : José Luis Alcaine ; mu : Alberto Iglesias ; mont : José Salcedo. Int : Penélope Cruz, Carmen Maura, Lola Dueñas, Bianca Portillo, Yohana Cobo, Chus Lampreave (Espagne, 2006, 121 mn).



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