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Nevada (2019)
de Laure de Clermont-Tonnerre
publié le mercredi 19 juin 2019

par Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection du Festival de Sundance 2019

Sortie le mercredi 19 juin 2019


 


Dans une époque où les animaux - pardon, les non-humains - reviennent au premier plan des préoccupations d’un genre humain coupable et justement honteux, il est bon de retourner à la pensée traditionnelle qui a fait ses preuves. Parmi les "30 millions d’amis" identifiés, certains sont plus proches que d’autres de l’espèce dominante - nous autres -, les chiens et, bien sûr, les chevaux. Les chats aussi, mais pas dans la même catégorie. Les récits ressassés de leurs relations font partie de nos formations d’enfants, mais du coup, nos sensibilités d’adultes, même exquises, se sont un peu blindées depuis le temps qu’on les entend, ces récits édifiants. Même si le plaisir des repères bien connus d’un genre prend aisément la place des émotions de l’innocence.


 

D’où cette grande joie, inattendue, à entrer dans le film de Laure de Clermont-Tonnerre.
Dès l’ouverture, on est projeté dans le terrible processus de l’enfermement. Dans la vaste plaine, les mustangs, sous contrôle d’un hélicoptère, sont capturés, rassemblés et parqués derrière des grillages. De la liberté sauvage à la réclusion humiliée, d’emblée on est embarqué, on choisit son camp, on devient cheval, on devient captif. (1)


 


 

Ce n’est qu’ensuite qu’on découvre, juste à côté, la prison symétrique, celle des hommes.
C’est un pénitencier, dans le Nevada, avec un programme de réhabilitation intelligent (le dressage des chevaux sauvages comme remède à la violence), qui, paraît-il, existe vraiment dans six États américains.


 

Roman Coleman, 12 ans de taule au compteur, a coupé les ponts avec les autres, il n’est "pas bon pour eux". Sans perspective, boule de fureur humble par la force des choses, mutique, il ne fait que l’entretien du complexe carcéral.


 


 

Mais quand il rencontre ce cheval différent, que personne ne parvient à dompter, c’est un coup de foudre, réciproque à l’évidence. La cinéaste parvient à faire parler tout aussi bien les regards de Matthias Schoenaerts rebelle que ceux du mustang "enragé". Comme pour tout coup de foudre, il s’agit d’une "reconnaissance". Ce mustang - descendant de cheval "marron", comme on disait d’un esclave domestique échappé et revenu à la liberté -, c’est son double, son âme sœur.


 


 

S’il parvient à rester plus de 5 secondes avec lui, il intègrera le programme, lui a-t-on dit, avec des perspectives de remise de peine. Mais ce n’est pas - plus - ça qui l’intéresse. Et puis dresser, c’est dominer, pour ça aussi, il a donné.
On lui a dit aussi que l’objectif, c’était de lui faire (re)trouver cette fameuse "empathie", ce mot longtemps savant dont la rue s’est emparée, comme d’un cautère sur la perte de toute communion. C’est comme une lueur.


 


 

Comme il y eut des androgynes, il y eut des centaures. La grande malédiction de l’espèce humaine, c’est la séparation, éternel retour, celle de Babel, celle du travail, celle des smartphones. Au premier regard, Roman Coleman a reconnu sa moitié perdue, cette race de ceux qu’on ne peut pas dresser. Et le vieux mot fait son chemin dans son esprit, qui, peu à peu, se libère.

Tout le film devient alors une histoire de séduction puis d’amour entre deux vivants de la couche terrestre, qui, tous deux épuisés, n’ont d’autre choix que de s’apprivoiser, sans barreaux, sans gardien, sans conseil, corps à corps.


 

Le vrai sujet de The Mustang, ce n’est pas la thérapie, la 2e chance, la résilience, la rédemption, la résurrection - les mots abondent - d’un humain parmi des milliards.
Le vrai sujet, c’est l’union de deux colères solitaires qui accouchent d’une solidarité, le miracle d’une paix née d’une violente résistance commune. Quelque chose comme "l’amour fou", comme une nouvelle origine du monde.

Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Le titre américain, The Mustang, est juste, le titre français, Nevada, fait dériver le sens du film. Il faut évidemment souligner le rôle de Robert Redford comme executive producer.


Nevada (The Mustang). Réal : Laure de Clermont-Tonnerre ; sc : L.C.T., Mona Fastvold & Brock Norman Brock ; ph : Ruben Impens ; mont : Géraldine Mangenotmu : Jed Kurzel ; ph : Ruben Impens ; mont : Géraldine Mangenot. Int : Matthias Schoenaerts, Jason Mitchell, Bruce Dern, Gideon Adlon, Connie Britton, Josh Stewart (France-Belgique-USA, 96 mn).



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