Six ans déjà, depuis son Palermo Shooting (2008) demeuré inédit pour nous (après un accueil calamiteux à Cannes, qu’il était loin de mériter), que Wim Wenders a abandonné la fiction et repris la veine documentaire dans laquelle il avait signé quelques titres remarquables, de Tokyo-ga (1985) à Buena Vista Social Club (1999). Après Pina Bausch en 2011 (1), il s’est donc intéressé à une autre célébrité artistique, le photographe Sebastião Salgado. Quelle meilleure façon d’approcher son sujet que de prendre comme coréalisateur le propre fils de celui-ci, Julian Ribeiro Salgado ? Le sujet était d’ailleurs d’une si grande richesse qu’on pourrait presque dire que le film était impossible à rater. La beauté des photographies prises par Sebastião Salgado (le père, car le fils est également de la partie) depuis quarante ans sur tous les fronts de combat, contre la guerre, la misère, l’exploitation, la mort des innocents, est telle que le régal visuel était assuré.

Encore fallait-il un œil acéré pour choisir parmi les dizaines de milliers d’épreuves de quoi composer un panorama pertinent. Mission accomplie. On va des images anciennes les plus connues (la mine d’or brésilienne géante de Serra Pelada) aux plus récentes, celles utilisées pour son album Genesis (2013) dans lesquelles l’extraordinaire qualité du noir et blanc ne se dément jamais (2). Mais lorsqu’il pratique la couleur, par exemple pour son reportage sur la tribu amazonienne des Zo’é, le résultat est tout aussi magnifique.

Certes, on comprend les reproches émis par d’aucuns - Susan Sontag et ses remarques sur "l’inauthencité du beau" (3) -, il n’empêche qu’on en prend plein les yeux deux heures durant.

Et la vision du domaine familial, devenu un désert, retrouvant, après vingt années d’entretien et le million d’arbres plantés, l’aspect d’une forêt tropicale est une belle façon de terminer le film sur une perspective ouverte : malgré la mocheté générale du monde, l’espoir subsiste.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n°360 été 2014

1. "Pina", Jeune Cinéma n°336-337, avril 2011.

2. Lélia Wanick Salgado & Sebastião Salgado, Genesis, Paris, Taschen, 2013.

3. En 2003, Susan Sontag, dans son ouvrage Devant la douleur des autres, évoque, à propos d’une exposition de Sebastião Salgado, les questions posées par "l’inauthenticité du beau et l’esthétisation du malheur".

The Salt of the Earth (Le Sel de la Terre). Réal, sc : Wim Wenders & Julian Ribeiro Salgado ; sc : David Rosier, Camille Delafon (France, 2014, 128 mn). Documentaire.