par Nicolas Villodre
Jeune Cinéma en ligne directe
Sélection officielle au Festival de San Sebastián 2018, Prix du Jury
Sortie le mercredi 17 juillet 2019
Sous forme de biopic, Icíar Bollaín a brossé un admirable portrait du danseur cubain Carlos Acosta, qui fut surnommé Yuli - fils d’Ogun - par son père, en référence à la cosmogonie africaine héritée de 350 ans d’esclavage, dont l’avatar vernaculaire est la santería.
Carlos Acosta, au présent - et au passé récent -, est interprété par lui-même.
En pleine force de l’âge, au mieux de sa forme athlétique et de son expression artistique, il est joué par Keyvin Martinez, l’un des plus grands solistes récemment formés par le Ballet national de Cuba. Enfant, il est incarné par l’exceptionnel Edison Manuel Olbera Núñez, une trouvaille de la réalisatrice ou de la production du film. Dans le rôle du paternel, Pedro Santiago Alfonso n’est pas mal non plus.
Le film semble long du fait que la vie du danseur est relatée doublement, par deux moyens distincts, alternés par le montage du même nom : une chorégraphie basée sur les impressions adolescentes du protagoniste et un récit cinématographique adapté, de manière classique et avec classe, de l’autobiographie officielle du héros, No Way Home, publiée en Angleterre par Harper Press en 2007. Nul ne pinaillera quelque anachronisme ici et là - cf. les antennes râteaux de type TNT, les tours One Blackfriars de South Bank, trop récentes pour être vraies ou vraisemblables - ; nul ne s’agacera outre mesure des deux ralentis dispensables sur la variation du Corsaire donnée un soir de gala au pensionnat pour pionniers faisant office d’école de danse ; on ne parle pas des pieds coupés par les cadrages du 2,35.
La danse sert de leitmotiv au film. Elle est l’objet des débats et des contradictions sociales. La jeunesse prolo voit d’un mauvais œil un fils de camionneur, fan de hip hop, de breakdance et de locking, jouer les ballerines. Celui-ci intériorise le préjugé machiste et répond à son père qu’il veut être Pelé et non... pédé. Les dialogues sont donc prosaïques et lyriques.
Un argument, non le moindre, du pater familias met en avant la gratuité de l’alimentation dont bénéficient les élèves de l’école de danse. Au talent naturel de l’enfant surdoué aussi bien dans la battle de rue, dans les tests de souplesse, que dans les figures en freestyle sur fond de musique romantique lors de son audition, sont opposées la discipline et la vocation du danseur. De même, l’uniforme de pionnier - short et foulard rouge, chemisette immaculée - contraste avec les tenues de ville ou sportswear.
Le ballet autobiographique de style néoclassique rythmant la bande est émaillé de clichés agitprop obligés mettant en cause l’impérialisme yankee. Les mesures d’Alfred Adam illustrant le générique de début sont reprises lors du solo du Corsaire qui oriente définitivement la destinée de l’écolier. Les plans de La Havane sont saturés de couleur et de lumière solaire, animés par les carros americanos - les Chrysler, Ford, Studebaker, Pontiac et autres Cadillac.
Le triomphe de Carlos Acosta au concours de Lausanne présidé par Claude Bessy en 1990, retransmis à La Havane par la télévision, est, bien entendu, coupé par une inévitable panne technique au meilleur moment de la cérémonie.
Yuli, fraîchement engagé par l’English National Ballet, apprend par la BBC le départ massif des balseros vers la terre promise de Miami. Le père, sévère, pratiquant, comme il se doit, le châtiment corporel, retrouve son sourire en lisant dans la presse que son fils est le premier Roméo noir de l’histoire de la danse. Un événement aussi important pour lui que celui du premier Noir qui marcherait sur la Lune.
Nicolas Villodre
Jeune Cinéma en ligne directe
Yuli. Réal : Icíar Bollaín ; sc : Paul Laverty d’après l’œuvre de Carlos Acosta, No Way Home : A Cuban Dancer’s Story (2007) ; ph : Alex Catalán ; mont : Nacho Ruiz Capillas ; mu : Alberto Iglesias. Int : Carlos Acosta, Santiago Alfonso, Keyvin Martínez, Edlison Manuel Olbera Núñez, Laura De la Uz, Yerlín Pérez, Yailene Sierra, Fidel Castro.