Neptune et les eaux
Pour le plaisir des amateurs en ligne 50
publié le mardi 23 juillet 2019

Hommage à Nettuno, dieu des eaux

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Quand, chaque année, les masses d’air chaud remontaient d’Afrique, les Romains déclenchaient leur plan Canicule : une grande fête sociale qui inaugurait un mois difficile, les Neptunalia, les 23 et 24 juillet.
Comme Pline l’Ancien (1), ils ne doutaient pas qu’elle était la version terrestre et synchrone de la "petite chienne", une étoile très brillante de la constellation du Grand Chien (alias Sirius de nos jours). Dans l’Empire, toutes les idées circulaient librement, et de la Grèce à l’Égypte, l’intuition que "tout ce qui est en bas est comme tout ce qui est en haut" sous-tendait les croyances hétérogènes.


 

Ne pouvant rien contre les caprices des astres, à l’occasion de cette fête, pour le flatter - on ne sait jamais -, ils célébraient Neptune, le dieu des eaux douces, des sources et de toutes les humidités, version dessalée de Poseïdon, le dieu grec des mers du peuple de marins qu’ils avaient colonisé.

Et puis, ils comptaient aussi, prudemment, sur leurs propres forces, et ils organisaient eux-mêmes l’ombre (avec des tonnelles en feuillages) et l’eau (en creusant des puits ou en canalisant des eaux courantes) pour lutter contre ses méfaits.

À Bologne, c’est Neptune le patron, même entouré d’églises et de basiliques.


 


 

Depuis sa conception par l’architecte Tommaso Laureti en 1563, et sa réalisation par le sculpteur flamand Jean de Boulogne de Douai, dit Giambologna, en 1566, à la gloire d’un pape, jusqu’à nos jours, le vieux dieu païen figure la ville catholique, ses banques et ses touristes -, si la ville demeure rouge, les modernes, descendants des anciens, ne s’embarrassent pas de pureté idéologique.


 


 

Mais, jusqu’à présent, les anciens comme les modernes s’étaient toujours souciés de l’eau.
Car à Bologne, au centre des terres, il n’y a pas de fleuve, juste un torrent originel, l’Aposa. Dès l’Antiquité - sous Auguste -, on construisit un aqueduc venant du torrent Setta plus lointain. Puis l’ingéniosité des architectes médiévaux détourna les eaux des torrents en une multitude de canaux artificiels reliant la ville au Pô et à la mer Adriatique, au point que la ville fut appelée "Piccola Venezia".


 

Aujourd’hui, ils sont souterrains, les canaux, il y a des visites organisées.
Et WWF alerte sur le dangereux abandon total des lieux, envahis par les déchets. (2)


 

Emblème de ce souci de l’eau, la fontaine de Neptune avait été construite pour usage public sur une place publique et il fallut régulièrement la protéger contre les incivilités ou les bombardements.


 

Les protections - en 2018, il était en cage - et les restaurations étaient - et sont encore toujours - l’objet d’ardentes polémiques démocratiques.


 


 


 

C’est qu’il s’est souvent agi, aussi, pendant des siècles, de censurer son indécence.
Entouré de ses créatures (des sirènes pulpeuses, des angelots, des dauphins, des chevaux), accueillant courtoisement les oiseaux, le bon gigante (Żigànt, en dialecte) outrepasse ses prérogatives traditionnelles, et déborde vers la préoccupation principale du genre humain. Giambologna voulait donner au dieu de dignes attributs virils, ce fut interdit par l’Église, il contourna la censure par la ruse, et par un ostensible déplacement vers le féminin (ça passe toujours mieux).


 


 

Aujourd’hui, après sa dernière réfection de 2018, il est tout beau et reluisant, Nettuno, sans barrière de protection, et la petite fontaine à ses pieds désaltère les passants disciplinés.


 

De nouveau, le peuple de la rue, les étudiants, les amoureux, les hippies, les clodos, les militants, se donnent rendez-vous sur ses marches. Et ce qu’on voit, mieux que jamais, même immédiatement censuré par Facebook, fait sourire. Un ordre tranquille semble régner.


 

Mais les astres, puis les dieux, et enfin les humains, on voit bien qu’au cours des âges, les responsabilités se sont diluées dans de sombres eaux dormantes et polluées (bien connues du calcul égoïste). La plaine du Pô s’assèche, il pleut de moins en moins. Partout le désert et le sel gagnent.

Quand l’eau vive et douce viendra à manquer, les humains sauront que leur crépuscule est venu. Chacun son tour.


 

Ce jour-là, à Bologne, il est probable que le grand Neptune de bronze, sur sa piazzetta attenante à la piazza Maggiore, tiendra toujours debout, entouré de ses créatures femelles, sèches désormais.

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1. Le grand savant qu’était Pline l’Ancien (23-79 apr. J.-C.), tendance stoïcienne, était un mécréant à sa façon et se moquait des dieux tels que les humains les avaient inventés, faisant plus confiance au Ciel et à la Terre, tels qu’il les observait.
Il affirmait : Il est évident que parmi les causes des saisons et des choses les unes sont fixes, les autres fortuites, ou du moins régies par des lois encore ignorées. Qui doute, en effet, que les étés, les hivers, et toutes les vicissitudes périodiques, ne soient déterminées par le mouvement des astres ? (Historia Naturalis, 77 apr. J.-C.).

Sa mort fut à l’image de sa vie, action et observation. Il périt en voulant sauver des amis tout en observant une éruption particulière du Vésuve, celle du 24 août 79 apr. J.-C., qui détruisit Pompéï et Herculanum.

2. Il Torrente Aposa : incuria, abbandono e inquinamento delle acque.



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