Le fantôme de la liberté
par Alain Pailler
Jeune Cinéma n° 388-389, été 2018
Sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 1969
Prix de la meilleure première œuvre pour Denis Hopper
Sorties le vendredi 27 juin 1969 et le mercredi 14 septembre 2016
Le 21 octobre 1969, disparaissait Jack Kerouac, auteur culte et figure tutélaire de la Beat Generation. Le 8 mai de cette même année, le Festival de Cannes découvrait et s’apprêtait à distinguer le premier long métrage d’un jeune réalisateur, déjà remarqué comme acteur depuis la fin de la décennie précédente : Dennis Hopper. Le titre de son film : Easy Rider - cinquante ans d’âge en 2019.
Sur les jeunes gens de notre génération qui le découvrirent lors de sa sortie française et ne ratèrent pas une occasion d’aller le revoir en salles lors de ses fréquentes reprises au cours des années suivantes, ce film eut sans nul doute un impact comparable à celui que le célébrissime roman de Kerouac, On the Road (Sur la route, 1957), avait eu sur la jeunesse des années cinquante ou soixante. Plutôt que de généraliser, sans doute serait-il plus juste de dire : sur une certaine jeunesse. Car il fallait adhérer à ce que l’on appelait alors contre-culture pour embrasser cet appel à la liberté qu’à première vue paraissait exprimer, comme nul autre film de la même époque, celui de Dennis Hopper - et Peter Fonda.
Car si Easy Rider fut mis en scène par Dennis Hopper - avec la collaboration active de toutes les personnes impliquées dans cette entreprise -, il doit plus encore à Peter Fonda, producteur et acteur, d’avoir vu le jour. À l’époque d’Internet, des DVD et de leurs suppléments parfois copieux, inutile de rapporter ici les commentaires fournis par les deux acteurs principaux du film, Peter Fonda et Dennis Hopper, à propos de la genèse, du tournage et du retentissement du film à la fin des années soixante. Il n’est que de se reporter à l’édition courante (1). Quant à obtenir une exégèse approfondie de l’œuvre, il suffira pour cela de se tourner vers les spécialistes de ce Nouvel Hollywood dont Easy Rider signa spectaculairement l’acte de naissance, ou quasiment (2).
Conclusion d’une décennie marquée par les conflits raciaux, les assassinats politiques, la guerre du Vietnam ou la remise en cause du mode de vie consumériste (c’est l’époque où Elia Kazan écrit puis tourne The Arrangement, attaque frontale contre l’American way of life), Easy Rider se donne d’abord comme un small budget road movie, errance motorisée à travers une Amérique de plus en plus désenchantée, au fur et à mesure que le récit progresse, avant même sa conclusion tragique. Tout contexte socio-politique mis à part, que donne à voir cette balade qui nous conduit de la Californie jusqu’en Louisiane, en compagnie de deux motards (on dirait aujourd’hui bikers) dont l’allure vestimentaire évoque tout à la fois les Hell’s Angels, les hippies et les cow-boys, figures hybrides synthétisant contestation et liberté ?
À l’apparence peu conformiste des deux protagonistes principaux, répondant respectivement aux prénoms de Wyatt (Fonda - cf. Wyatt Earp) et de Billy (Hopper - cf. Billy the Kid), s’ajoute la singularité de leurs montures chromées. L’une des deux, celle de Wyatt-Fonda, exhibant fièrement son appartenance au sol étatsunien avec réservoir et casque aux couleurs de la bannière étoilée, laquelle est également visible au dos du blouson en cuir noir que porte le personnage.
En outre, la forme des motos s’accorde à la morphologie même des deux motards : l’une longue, élancée (Wyatt-Fonda) ; l’autre plus courte, ramassée (Billy-Hopper). The rider fits the bike, et réciproquement.
L’équivalence entre animal et machine se trouve par ailleurs posée de manière très explicite lorsque Wyatt et Billy réparent une roue crevée dans la grange d’une ferme, tandis que l’on ferre un cheval à côté d’eux. Un plan d’ensemble associe alors les gestes des fermiers avec ceux des motards sans la moindre équivoque.
Easy Rider (3) prend ainsi le relais de ces chevauchées (fantastique-infernale-héroïque-sauvage...) indissociables de la géographie comme de l’imaginaire westerniens et les prolonge. À maints égards, le genre du road movie peut d’ailleurs être considéré comme un surgeon (avatar ?) moderne du western sur grand écran, cf. les deux films de 1971 : Two-Lane Blacktop (Macadam à deux voies) de Monte Hellman ou Vanishing Point (Point limite zéro) de Richard Sarafian.
Toute allusion au conflit vietnamien prudemment évitée, et si l’on excepte le petit trafic South of the border du prologue qui va permettre aux deux motocyclistes d’entreprendre leur virée à travers les États du Sud-Ouest puis du Sud, les deux personnages ne semblent aucunement mus par une volonté manifeste de s’attaquer à l’Establishment, contrairement au personnage principal de Zabriskie Point (Michelangelo Antonioni, 1970), par exemple.
Tout au plus enfreignent-ils certaines lois. Plus outlaws ou marginaux que véritables contestataires. Un premier montage, bien trop long, nous apprenait qu’ils gagnaient initialement leur vie comme cascadeurs - d’où les motos. Seul l’attrait d’une vie sans entraves, libre de toutes attaches, a motivé leur désir de prendre la route, exactement comme pour Sal Paradise (Jack Kerouac) et Dean Moriarty (Neal Cassady) vingt ans plus tôt, avec pour seul souci la quête permanente du plaisir immédiat (on fume beaucoup de marijuana tout au long de ce périple) que l’exercice de l’amitié et le hasard des rencontres (le fermier édenté, Luke Askew, la communauté hippie, Jack Nicholson, les prostituées à la Nouvelle-Orléans) peuvent procurer sur la route.
Comme dans L’Odyssée de Homère (matrice même du western, comme l’a fort bien démontré André Bazin), les représentantes du sexe féminin font figure de hâvres ponctuels, permettant aux "héros" de reprendre leur souffle, rien de plus. En ce sens, la tonalité virile - pour ne pas dire machiste - du western traditionnel trouve en Easy Rider un prolongement assez naturel.
Le but du voyage - assister au carnaval de la Nouvelle-Orléans - n’est jamais ici qu’un prétexte à nomadiser sans se soucier du lendemain. Seul le trajet importe, non la destination. Et seules les expériences vécues tout au long du chemin parcouru sont susceptibles de faire sens. Non pour conforter les deux voyageurs quant au bien-fondé de leur errance aux quatre vents des vastitudes traversées, mais pour en souligner au contraire la vacuité, l’absurdité même. "We blew it"- "On a foiré", constatera Wyatt-Fonda au cours de l’ultime bivouac. Constat d’échec qui vaut sans doute pour une génération entière. Mais avant d’en arriver à cette conclusion amère qu’aggravera la dernière séquence, auront défilé un certain nombre de spécimens humains dont les propos aussi bien que les comportements en disent assez long sur le climat d’incompréhension et d’hostilité qui régnait alors entre le pays profond et une partie de sa jeunesse.
En un sens, Easy Rider reprend à son compte le constat assez effrayant auquel parvenait déjà Shock Corridor de Samuel Fuller en 1963 : l’Amérique est devenue un asile d’aliénés. La peur de l’étranger, souvent perçu comme une menace, élément exogène attentatoire au corps social figé dans ses préjugés multiples, alimente suspicion, répression et violence (séquence de l’incarcération ou, surtout, celle du café-restaurant). Dans un pays qui se targue d’être le héraut de la liberté au regard de la planète entière, toute attitude libertaire jugée hérétique se voit aussitôt sanctionnée ; ce qu’exprimera très clairement le personnage de George-Jack Nicholson.
Quant à ceux qui prétendent opposer à une société sclérosée un modèle censément alternatif (la communauté hippie), leur utopisme naïf paraît déjà bien essoufflé en cette fin des années soixante et n’est pas de nature à satisfaire les deux personnages principaux, irréductibles individualistes, tant il s’apparente, au bout du compte, à ce qu’ils ont pu rencontrer auparavant.
Chez les hippies redécouvrant la civilisation agraire primitive, comme chez les fermiers traditionnels, on fait beaucoup d’enfants et on ne manque pas de réciter la prière avant de passer à table. Pour tous ces gens, l’exercice de la liberté équivaut à se soumettre à des règles et à une morale commune, fût-elle laxiste sur bien des points, confirmant le mot de André Gide selon lequel la liberté "n’est jamais que de choisir son esclavage". Exit Flower Power & Summer of Love. Easy Rider est bien un film de / sur la fin d’une époque et de ses illusions. L’enthousiasme et l’optimisme d’un Edgar Morin immergé dans l’euphorie de la contre-culture californienne (4) ne s’y rencontrent guère. La vraie vie est ailleurs, certes, mais y a-t-il un ailleurs ?
Dans le premier tiers du film, la splendeur des paysages qui défilent opère sur le regard des voyageurs comme sur celui des spectateurs à la manière d’un miroir aux alouettes. En dépit de leur splendeur visuelle, les majestueuses concrétions multicolores du Painted Desert comme les buttes de Monument Valley découvertes à la tombée du jour ne sauraient tenir lieu de terre promise ; celle-là même que cherchèrent à atteindre, un siècle auparavant, les pionniers dépeints par John Ford dans Wagonmaster (Le Convoi des braves, 1950). Les paysages grandioses de l’Ouest lointain se donnent désormais comme les signes d’une mémoire atone, qui s’efface dans la nuit, amputée des idéaux anciens. "Un homme est parti à la recherche de l’Amérique et ne l’a trouvée nulle part", pouvait-on lire sur l’affiche du film. En ce sens, le parcours qu’accomplissent Wyatt et Billy n’est en fin de compte pas très différent du Voyage au bout de la nuit de Ferdinand Bardamu.
La destination finale est la mort ; celle que rencontrera prématurément George-Nicholson aux mains de rednecks racistes et criminels (5) puis Billy et Wyatt confrontés à leur tour au poison de l’intolérance criminelle qui ronge une Amérique fracturée, dans sa partie sud(iste) en particulier. La comparaison avec le finale du Voyage… prend de la consistance au tout dernier plan (aérien) qui, comme l’ultime paragraphe du roman de Céline, laisse toute la place au fleuve coulant dans une indifférence totale aux tragédies humaines. "Flow river, flow", entend-on sur la bande-son comme en écho au "qu’il le fleuve emporte tout" du romancier français. (6)
Reste que cette traversée de l’Amérique profonde - ce voyage au bout du cauchemar américain, dont le terme inévitable ne peut-être que la mort (quelques flash forward sur la moto en feu ne laissent aucun doute là-dessus) -, se double d’une autre quête, immanente à la cinématographie. Balade en forme de requiem, Easy Rider est d’abord et surtout une ballade de l’Amérique perdue. Ce serait une erreur de prendre au mot Peter Fonda lorsqu’il feint de résumer l’argument du film en parlant de motorcycles, sex and drugs. (7) En réalité et en premier lieu, c’est le souvenir de John Ford, subséquemment celui de Fonda père, qui revient hanter les grands espaces désertiques, filmés en plans larges, notamment Monument Valley où les motocyclistes bivouaquent le temps d’une halte nocturne. Référence nostalgique qui se répète à la fin du Electra Glide in Blue (1973) de James William Guercio, dont la dernière séquence présente quelque similitude - dramaturgie inversée - avec la clôture de Easy Rider.
Il en va de même avec l’ultime séquence du seul western réalisé par Blake Edwards, Wild Rovers (Deux hommes dans l’Ouest, 1971), qui montre William Holden abattu dans Monument Valley, la toute dernière image pouvant évoquer le plan d’ouverture du célébrissime Stagecoach (La Chevauchée fantastique, 1939) de John Ford. Tout s’achève là où tout avait commencé, en quelque sorte. À l’origine est le désert, figure du néant aussi bien que de la pureté trahie. Seules l’absence ou la mort permettent à l’homo americanus, intrus et destructeur radical, de trouver sa juste place par rapport à cet espace violé (la littérature d’un Edward Abbey (8) ne dit pas autre chose).
La séquence du trip au LSD, placée dans un cimetière de New Orleans, pourrait laisser accroire que la blessure jusqu’ici refoulée, inscrite au plus intime de Wyatt-Fonda, assez peu disert durant le plus gros du film, a quelque chose à voir avec le propre vécu de l’acteur, dont la mère s’était donnée la mort des années auparavant. Peter Fonda a d’ailleurs confié s’être servi de ce traumatisme pour nourrir ladite séquence lysergique délirante (montage ultra-rapide, effets de distorsion visuelle, voix qui s’entremêlent), rejoignant pour l’occasion les tenants de la Méthode (i.e. celle de l’Actors Studio). Or, s’il est un nœud, moins immédiatement perceptible, que tente de dénouer l’acteur avec Easy Rider, il se trouve tout autant sinon plus du côté paternel. Il n’est pas insignifiant que le succès colossal obtenu par le film au box office (9) se soit traduit pour Fonda fils par le passage à la mise en scène.
Promu du jour au lendemain au rang d’icône de la contre-culture - tout comme Kerouac avant lui -, Peter Fonda, curieusement, n’eut rien de plus pressé que de se lancer dans la réalisation d’un (remarquable) western : The Hired Hand (L’Homme sans frontière, 1971). Et l’acteur-réalisateur de reconnaître, en toute lucidité, que le triomphe de Easy Rider lui avait enfin permis d’exister en dehors de "l’ombre monumentale" (sic) projetée par son père, Henry Fonda (10). Ce père célèbre associé pour l’éternité à la figure légendaire de Wyatt Earp dans le chef-d’œuvre de John Ford, My Darling Clementine (La Poursuite infernale, 1946), western parfois qualifié de crépusculaire, à hauteur duquel Peter Fonda déclare avoir sciemment voulu porter The Hired Hand (11).
Nul n’a oublié l’interprétation particulièrement émouvante donnée par Henry Fonda du marshall de Tombstone saisi précisément dans le cadre - ô combien spectaculaire - de Monument Valley, lieu que l’on retrouve dans Easy Rider au crépuscule, comme si l’ombre immense projetée par les imposants monolithes immortalisés par le génie de Ford se confondait en partie pour Peter Fonda avec l’écrasante figure de ce père sur les traces duquel il se risque manifestement à avancer.
À défaut de pouvoir l’égaler, ne s’agissait-il pas tout au moins de le rejoindre au cœur même de ce mythe fondateur de l’Amérique qu’est la marche vers l’Ouest - Henry Fonda-Wyatt Earp pénètre à cheval dans Monument Valley quand Peter Fonda-Wyatt s’y engage à moto) ? Marche ici effectuée en sens inverse. Désir de s’en retourner vers l’origine de cette Amérique désormais sans repères ? Amérique dont les enfants s’en vont au hasard des routes, dans l’espoir inavoué-indicible de rétablir le lien avec la mémoire des pères (-fondateurs), confrontés à un espace saccagé où rôdent les monstres - ces agents du fatum - toujours prêts à fondre sur leurs proies égarées dans une quête sans fin, à la recherche de cette chimère qui a pour nom liberté et dont le fantôme hante chaque plan de Easy Rider.
"Ainsi donc, en Amérique, quand le soleil descend et que je suis assis près du fleuve sur le vieux quai démoli, contemplant au loin, très loin, le ciel au-dessus du New Jersey, et que je sens tout ce pays brut rouler en bloc son étonnante panse géante jusqu’à la côte Ouest et toute cette route qui y va, tous ces gens qui rêvent dans son immensité [...] je pense à Dean Moriarty, je pense même au vieux Dean Moriarty, le père que nous n’avons jamais trouvé..." (Jack Kerouac, Sur la route, traduction de Jacques Houbard).
Alain Pailler
Jeune Cinéma n° 388-389, été 2018
* Cf. aussi René Prédal, "Easy Rider", in Jeune Cinéma n°41 d’octobre 1969 et Andrée Tournès, "Jeunesse américaine", in Jeune Cinéma n°52 de février 1971.
1. L’édition DVD de Easy Rider a été commercialisée sous étiquette Columbia. Elle comporte notamment un commentaire audio de Dennis Hopper ainsi qu’un documentaire sur le tournage du film dans lequel interviennent acteurs, producteur, cameraman, monteur... Le film se trouve également en édition blu-ray.
2. Rien ne commence jamais vraiment, on le sait. Le vent de contestation qu’allait faire souffler Easy Rider et qui n’épargnerait pas les milieux du cinéma, se faisait déjà sentir dans Bonnie & Clyde de Arthur Penn (1967) ou The Graduate (Le Lauréat) de Mike Nichols (1967) - sans parler des curiosités anticonformistes réalisées par le franc-tireur Roger Corman -, pour s’amplifier par la suite à travers de nombreux films signés Sam Peckinpah, Richard Sarafian, Monte Hellman, Jerry Schatzberg, Terrence Malick, Arthur Penn, Hal Ashby, Bob Rafelson, Robert Altman, Martin Scorsese...
3. Stricto sensu, le titre fait référence non à un cavalier mais à celui qui profite gratuitement des faveurs d’une prostituée. La tentation est grande toutefois de le comprendre dans un sens plus directement associé au fait de se déplacer à moto en toute décontraction.
4. Cf. Edgar Morin, Journal de Californie (Le Seuil, 1970). Vanishing Point (Point limite zéro) de Richard Sarafian (1971) ou Electra Glide in Blue de James William Guercio (1973) font peu ou prou le même constat que Easy Rider sur l’état des relations sociales aux USA.
5. Le scénario présente d’ailleurs à ce moment-là un trou difficilement justifiable, une faiblesse majeure car nous ne saurons jamais rien des conséquences de l’assassinat de George-Nicholson. Qu’est-il advenu de sa dépouille ? Comment se fait-il que Wyatt et Billy se retrouvent dans un restaurant de la Nouvelle-Orléans juste après la violente agression nocturne dont ils ont été victimes ? Comment se sont-ils sortis de ce très mauvais pas ? L’enchaînement entre ces deux moments du récit, trop abrupt, laisse à penser qu’une séquence a pu être ou bien biffée du scénario (dû pour l’essentiel à Terry Southern) ou bien coupée au montage. Celui-ci, d’une manière générale, ne se distingue pas par sa fluidité. Ainsi passe-t-on parfois brutalement d’un plan à un autre, d’une musique à l’autre, sans la moindre transition. Imperfections formelles qui ne contreviennent d’ailleurs pas au parti pris d’improvisation, et on peut songer au Godard de À bout de souffle ou au Cassavetes de Shadows, grâce auquel le film trouve ce ton naturel (cool) qui emporta l’adhésion d’un très large public et qui, disons-le sans détour, tient plutôt bien la route un demi-siècle après sa sortie.
6. À ceux qui pourraient s’étonner d’un tel rapprochement, rappelons le nom du photographe Bernard Plossu, épris de westerns et de leurs paysages, lisant Céline "dans une Ford garée pour la nuit sur le plateau lunaire de Monument Valley" (Lewis Baltz). Anecdote rapportée dans le cadre d’une exposition des photos de Plossu sur l’Ouest américain proposée, durant l’été 2016, dans le cadre des Rencontres internationales de la photographie d’Arles. Par ailleurs, le personnage de Bardamu créé par Céline, homme sans qualités, anti-héros par excellence, n’est-il pas en quelque sorte l’ancêtre de tous ces déclassés, marginaux et autres losers que va mettre en avant le cinéma du Nouvel Hollywood au cours des années soixante-dix ?
7. Un genre dans lequel Peter Fonda craignait de se laisser enfermer après avoir tenu un rôle de motocycliste en rupture de ban dans The Wild Angels (Les Anges sauvages) de Roger Corman (1966), puis celui d’un utilisateur de LSD dans The Trip de Roger Corman (1967), film l’associant déjà à Dennis Hopper, Luana Anders ou Jack Nicholson (scénariste) et dont les thèmes aussi bien que les personnages - époque oblige - préfigurent en quelque façon ceux de Easy Rider. Voir documentaire sur le tournage du film. Cf. note 1.
8. Cf. Ne meurs pas, ô mon désert repris ensuite sous le titre Le Gang de la clef à molette (1975). Tiré d’un texte de Edward Abbey, Lonely Are The Brave (Seuls sont les indomptés) film réalisé en 1962 par David Miller, avec Kirk Douglas dans le rôle principal, montrait déjà un cow-boy anachronique, déclassé, égaré dans un monde déshumanisé, a loner, a drifter, annonciateur des deux anti-héros de Easy Rider et comme eux voué à une fin tragique.
9. Produit et réalisé avec moins de 400 000 dollars, il avait engrangé quelque 60 millions de dollars début 1972 - on en était à 240 millions de dollars il y a vingt ans, selon Philippe Garnier qui avance rarement quoi que ce soit à la légère.
10. Voir Le retour de L’Homme sans frontière, documentaire signé Jack Taylor figurant sur le DVD L’Homme sans frontière (Carlotta, 2007).
11. Cf. note 5. Western esthétisant et contemplatif, The Hired Hand prend Easy Rider à contrepied, en suivant initialement trois personnages dont un, joué par Peter Fonda, veut justement rompre avec une vie d’errance afin de retrouver le foyer qu’il a abandonné plusieurs années auparavant. Au mouvement centrifuge de Easy Rider s’oppose celui, centripète, de The Hired Hand dans lequel Harry-Peter Fonda tente de ressouder la cellule familiale après des années de dérive. Reste que la conclusion de The Hired Hand est presque aussi sombre que celle de Easy Rider : nomade ou sédentaire, nul ne peut se soustraire au fatum. Exprimé de manière plus prosaïque : dans ce Nouveau Monde où l’on ne désarme jamais, certaines erreurs se paient au prix fort.
Easy Rider. Réal : Dennis Hopper ; sc : D.H., Peter Fonda & Terry Southern ; ph : Laszlo Kovacs ; mont : Donn Cambern ; mu : Roger McGuinn. Int : Peter Fonda, Dennis Hopper, Jack Nicholson, Phil Spector, Karen Black, Toni Basil, Warren Finnerty (USA, 1969, 94 mn).