par André Tournès
Jeune Cinéma n°52, février 1971
Sélection officielle du Festival de Cannes 1970, Prix du Jury.
Sortie le mercredi 24 juin 1970
* Extrait de l’article général "Jeunesse américaine".
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On retrouve l’habileté technique, les effets à l’emporte-pièce, l’utilisation exacerbée de la musique dans Des fraise et du sang de Stuart Hagmann, un film inspiré d’un document sur les événements de Columbia (1), plus précisément la lutte menée par les étudiants pour empêcher l’université de réoccuper un terrain ouvert aux enfants noirs du quartier.
L’histoire retrace la mort d’un des protagonistes au cours d’un matraquage féroce.
Le film est applaudi par les auditoires de jeunes et a souvent été reçu comme un film de gauche. En effet, la scène d’affrontement entre les brigades anti-émeutes et les jeunes est une des plus terribles qu’ait montré un film de fiction.
Cependant, il peut sembler aussi réactionnaire, en plus sournois, que Les Troupes de la colère.
Le jeune héros vient à la contestation par amour. Sa première nuit d’occupation de la faculté semble avoir pour seul objectif de coucher avec la gauchiste qui l’a séduit. Mieux : l’ami fasciste qui le tabasse pour lui apprendre à sécher son entraînement sportif, entre lui aussi dans le "mouvement", parce qu’il a flairé de la violence et que "ça lui plaît." Quant au héros, il promène avec fierté son visage contusionné et se fait photographier comme victime des flics.
La lutte pour le terrain des pauvres commence par une agression contre un gentil flic inoffensif de sorte que l’agression sauvage de la dernière séquence contre les étudiants non-violents apparaît comme une riposte aux excès étudiants et que les violents sont rejetés dos-à-dos. Moralité : faites du sport et restez tranquilles, la police en fera autant.
Enfin, les Noirs, pour qui se battent les jeunes, sont montrés tantôt comme des idiots regardant placidement les étudiants se faire tabasser, tantôt comme des militants anti-blancs. Une scène particulièrement abjecte montre le couple dérangé au creux d’un buisson par quatre Noirs menaçants qui écrabouillent leur appareil photo.
Par de telles scènes, le film présente tous les caractères de l’inversion dont parle le psychologue Kenneth Kenniston dans son enquête sur les jeunes radicaux (5). "Tout se passe, dit-il, comme si les radicaux et les Noirs étaient perçus comme dangereux par les modérés qui projettent sur eux leurs propres pulsions violentes". Ici, le cri du jeune étudiant "Oh No !" est exactement celui qu’on attend d’un Noir surpris à aimer par une bande de fascistes blancs.
Avec ses allures contestataires, faisant semblant de plaindre l’étudiant innocent, Des fraises et du sang est en réalité un plaidoyer pour la vie calme et silencieuse des partisans de Nixon.
André Tournès
Jeune Cinéma n°52, février 1971
1. En 1968, les étudiants de l’Université de Columbia (située à New York, dans le quartier de Morningside Heights, Upper West Side de Manhattan) découvrirent les liens de leur université avec les institutions soutenant la guerre du Vietnam. Leur hostilité à la construction d’un gymnase ségrégué dans le parc voisin de Morningside, déclencha la révolte. Sur le sujet, on peut signaler deux documentaires : Columbia Revolt de Melvin Margolis & le collectif Newsreel (1968), tourné en cinéma-vérité ; A Time to Stir de Paul Cronin (2018), un documentaire de 22 heures (1320 mn).
* Des fraises et du sang (The Strawberry Statement). Réal : Stuart Hagmann ; sc : Israel Horovitz d’aprè le roman de James Simon Kunen ; ph : Ralph Woolsey ; mont : Marjorie Fowler, Roger J. Roth & Fredric Steinkamp ; mu : Ian Freebairn-Smith, Crosby Still & Nash, Neil Young et Buffy Sainte-Marie ; déc : Robert R. Benton & Chuck Pierce. Int : Bruce Davison, Kim Darby, Bud Cort, Bob Balaban, Israel Horowitz, Jeannie Berlin (USA, 1970, 109 mn).