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Campus (1970)
de Richard Rush
publié le dimanche 18 août 2019

par André Tournès
Jeune Cinéma n°52, février 1971

Sortie le mercredi 2 décembre 1970


 


* Extrait de l’article général "Jeunesse américaine".
[...]

Finalement, le film qui emprunte le moins aux clichés réactionnaires, c’est Campus de Richard Rush, aux allures de bonne comédie sans prétention, avec son texte bourré de blagues et de gros mots faciles, ses apartés à la Groucho Marx, l’interprétation brillante de Elliott Gould, et son histoire d’amour conventionnelle à la Capra - elle renonce au mariage confortable avec un gynécologue bien pensant, et lui renonce à la carrière universitaire pour rester proche des élèves.

Le film a pour cadre une petite université que les recteurs voudraient sans histoire. Si la révolte éclate, c’est que les vieux du comité refusent de lâcher du lest devant des demandes bien modestes : le libre accès des filles aux chambres des garçons, l’ouverture d’un département d’études noires, l’augmentation des bourses données au Noirs et aux Portoricains.


 

Quelques revendications plus politiques se mêlent aux demandes de réforme, certains demandent l’autogestion, d’autres protestent contre le recrutement sur les campus pour l’industrie de guerre. Les scènes d’affrontement entre les flics et les étudiants - morceaux de bravoure de tous les films sur la jeunesse - ne donnent lieu à aucun développement extraordinaire. On y voit seulement les flics enlever leur matricule et caresser leurs matraques (comme dans le document de Chris Marker sur la marche du Pentagone) (1) avant de recevoir l’ordre "d’y aller".

Ceci ne constitue d’ailleurs qu’un fond de décor de l’intrigue principale dont le héros n’est qu’un étudiant de dernière année faisant son stage pédagogique avant de devenir prof de High School, c’est-à-dire approximativement prof de secondaire. Bayley a gardé sa sympathie pour les contestataires, noirs et blancs, et il regarde, d’un œil un peu ironique, une agitation qu’il attribue uniquement à la répression sexuelle, alors même qu’il prône, lui, des actions plus radicales comme l’incendie des centres de recrutement. En attendant, il pactise avec le système, travaille ses examens et espère trouver, dans l’enseignement secondaire, un moyen d’aider les jeunes défavorisés des quartiers pauvres.


 

Les professeurs qui ont flairé le danger que représenterait un collège de ce type essaient de le dégoûter en lui donnant, comme classe de stage, une classe d’adultes retardés, puis l’empêchent de se présenter à son examen. Il ne lui reste plus qu’à accepter l’intégration complète et devenir, après 4 ans d’études abrutissantes, un prof d’université aussi encroûté que ses maîtres actuels. À l’oral de maîtrise, qui se déploie sur fond d’occupation militaire, incapable de satisfaire à la demande académique, il déclenche un scandale en dévidant un chapelet d’obscénités rimées sur Shakespeare, Chaucer et Milton, et passe ainsi du côté des jeunes.


 

Plus que sur la condition étudiante, c’est sur celle des enseignants que s’arrête l’auteur. On y voit le personnage vivre sans le sou, sans domicile fixe. Il subsiste en corrigeant des copies, en effectuant des tâches mal définies comme servir de guide touristique à des lycéens venus choisir leur faculté. Son entrée dans la carrière dépend d’une série d’examens que le premier crétin venu peut passer à condition de savoir de qui est le poème et à quelle date il a été écrit. On entend un prof expliquer que si l’élite des lycéens peut produire un Fitzgerald, les trois quarts n’ont besoin que d’apprendre à rédiger leurs feuilles d’impôts, et qu’il est inutile de les initier à la sociologie ou à la grande littérature.


 

Certes, le héros et l’auteur du film peuvent apparaître un peu naïfs dans la manière dont ils font confiance aux méthodes non répressives, comme l’emploi du langage parlé pour aborder l’étude de la grammaire ou le commentaire des bandes dessinées pour introduire à Don Quichotte un Portoricain analphabète. Il n’en reste pas moins que c’est un des seuls films sortis en France qui pose le problème du rôle que peut jouer un prof progressiste dans un lycée.

Une réserve de taille, tout de même : l’utilisation d’un personnage d’étudiant demeuré et drogué endossant à tour de rôle la dégaine du bouddhiste, de l’Indien Sioux, du vagabond fumeur de haschich -, et, par moment, tenté par le rôle de combattant patriote. En opposant arbitrairement à la révolte sérieuse - et traitée avec humour mais sérieusement - un personnage aussi irréel, l’auteur discrédite l’autre face du mouvement hippie.

André Tournès
Jeune Cinéma n°52, février 1971

1. La Sixième Face du Pentagone de Chris Marker & François Reichenbach (1968).


Campus (Getting Straight). Réal : Richard Rush ; sc : Robert Kaufman d’après le roman de Ken Kolb ; ph : László Kovács ; mont : Maury Winetrobe ; mu : Ronald Stein. Int : Elliott Gould, Candice Bergen, Harrison Ford, Jeff Corey, Cecil Kellaway, William Bramley (USA, 970, 124 mn).



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