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Carrie au bal du diable (1976)
de Brian De Palma
publié le mercredi 18 septembre 2019

par François Guérif
Jeune Cinéma n°106, novembre 1977

Sorties le vendredi 22 avril 1977, et les mercredis 2 février 2000, et 1er novembre 2017, et 18 septembre 2019.


Brian De Palma a inventé le conte de fées pour adultes. Et s’il n’est souvent pas pris au sérieux, c’est parce qu’il a l’honnêteté de jouer le jeu. Au contraire de Robert Altman, qui se sert d’un genre pour le dynamiter, il respecte les règles de celui qu’il a choisi d’illustrer.

Ainsi, Carrie est un vrai film d’horreur, parce que les scènes de terreur n’y sont pas escamotées ou traitées au second degré. C’est aussi un film sensible sur la solitude de l’adolescence, et on voit comment le réalisateur aurait pu, s’il l’avait voulu, s’abriter derrière cet alibi "intellectuel" ; mais pour lui, chaque genre a sa noblesse.

Carrie, c’est l’être innocent et désarmé face au mal, personnage typique du conte de fées. Son épreuve à elle, ce n’est pas un ogre, une sorcière ou un dragon, mais les habitants de sa ville natale. Là apparaît le "tour d’écrou" qui inverse la signification du conte : les habitants sont "normaux" et ils sont le mal ; c’est Carrie l’innocente qui est un monstre.

Dès lors, son bon génie (son professeur de gymnastique) sera impuissant et l’innocente deviendra bourreau. Allons même plus loin. Dans la scène du bal, les gros plans de Carrie couverte de sang représentent l’image qu’elle se donne d’elle-même. De Palma est alors le premier cinéaste à avoir employé le split-screen pour montrer deux images subjectives en même temps. Investie par la ville du rôle de sorcière sanglante, elle est obligée d’accomplir son destin, et ne perd pas son innocence en devenant bourreau.

Par conséquent, les références au Christ ne sont pas gratuites. Carrie, fille de Satan, est crucifiée au même titre que le fils de Dieu. Le sang symbolise le chemin de croix de Carrie, depuis le moment où il coule entre ses jambes jusqu’à sa mort. Pour elle aussi, c’est la "part d’humanité" qui est la plus lourde à assumer.

Et le plan final n’est plus seulement là pour faire sursauter le spectateur, mais pour rappeler que "Carrie White brûle à jamais dans les flammes de l’Enfer", de la même façon que les films sur le Christ se terminent immanquablement par une image céleste qui rappelle que "le Seigneur vit à jamais dans les cieux."

Dans les contes de fées pour adultes, les fées sont souvent absentes, mais pas les monstres. Leur différence les rend déchirants, et on voit De Palma plus dans la lignée de Tod Browning que dans celle de Alfred Hitchcock : tout dans ses films est raconté avec un humour noir qui empêche une démagogie larmoyante.

François Guérif
Jeune Cinéma n°106, novembre 1977


Carrie au bal du diable (Carrie). Réal : Brian De Palma ; sc : Lawrence D. Cohen, d’après Stephen King ; ph : Mario Tosi ; mont : Paul Hirsch ; mu : Pino Donaggio. Int : Sissy Spacek, Piper Laurie, Amy Irving, William Katt, John Travolta, Nancy Allen (USA, 1976, 98 mn).



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