par Robert Grélier
Jeune Cinéma n° 396-397, octobre 2019
Sélection officielle (Prix de la Critique) au Festival international du film d’animation d’Annecy 1985.
Prix du long métrage du Festival de Los Angeles 1990.
Sorties les mercredi 6 février 1985 et 2 octobre 2019
Après la réalisation, en 1978, de La Traversée de l’Atlantique à la rame, Jean-François Laguionie décide d’aborder le long métrage d’animation.
Il avait jusque-là toujours travaillé en solitaire, s’adjoignant parfois quelques collaborateurs pour achever ses courts métrages. Il est contraint de former une équipe, certes réduite (six personnes au départ, neuf à la fin), mais indispensable afin de produire en douze mois un long métrage. Des prévisions trop optimistes, car il a fallu plus de quatre ans pour terminer Gwen. Par manque d’argent, la production a été arrêtée pendant six mois. Produire un long métrage avec si peu de moyens était déjà une gageure, mais le faire dans un village ardéchois de trois cents habitants, dans une ancienne magnanerie qu’il fallut totalement réaménager, était un exploit.
Fuir Paris et la société de consommation n’avait rien de philosophique ou de démagogique pour Jean François Laguionie et ses premiers collaborateurs. Tous étaient déjà des professionnels de l’animation confirmés, ce qui les motivait, c’était de mettre en commun leur expérience artisanale au profit d’une œuvre dont ils ne doutaient pas un seul instant qu’elle serait prodigieuse. Certes, le charisme, la générosité et la gentillesse de Laguionie y étaient pour quelque chose.
Pendant les quatre années d’activité tout le monde aura le même salaire. "Et si le film a du succès, nous nous partagerons les bénéfices !"
Il n’est pas rare que le matin au réveil quelqu’un vienne dire qu’au cours de la nuit, il a eu l’idée de modifier la scène que l’on est en train de tourner. C’est alors que toute la journée, ils vont réfléchir à cette proposition pour ensuite l’abandonner à la tombée de la nuit. La liberté est totale. Le planning élaboré à partir du story-board est vite délaissé. "Nous travaillons du matin au soir sans compter notre temps." Le maître d’œuvre tenait la barre, dans une ambiance festive. Il fallait rester dans la suite d’un conte pour tout le monde, en tournant le dos au film pour enfants. Gwen sera un mélange de dessins animés et de papiers découpés, formule que chacun des compagnons a utilisée dans ses travaux précédents.
Gwen, le livre de sable est un film d’aventures doublé d’un regard ironique sur le monde absurde de l’époque, où déjà le rigorisme religieux commençait à ravager certains esprits fragiles.
L’ensemble des décors de Bernard Palacios, baigné de tons pastel, est fascinant, surtout dans les scènes de la traversée du désert où évoluent des personnages montés sur des échasses.
La beauté d’un grand nombre de séquences est époustouflante, et l’on remarquera la souplesse de l’animation qui n’a rien à voir avec celle que l’on retrouve sur les bandes produites à partir d’un ordinateur.
Chaque personnage symbolise un moment de vie. Les visages expressifs n’agressent pas le spectateur. Porteurs d’un dialogue, ils nous captivent et demeurent ancrés dans notre mémoire quarante ans après.
Robert Grélier
Jeune Cinéma n° 396-397, octobre 2019
Gwen, le livre de sable. Réal, sc : Jean-François Laguionie ; sc : Jean-Paul Gaspari ; mont : Hélène Arnal ; mu : Pierre Alrand ; son : Paul Bertault, Daniel Deshays ; voix : Michel Robin, Lorella Di Cicco, Armand Babel, Raymond Jourdan (France, 1984, 67 mn).