par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°396-397, octobre 2019
Sélection officielle de la Mostra de Venise 2019
Sortie le mercredi 23 octobre 2019
Igor Tuveri est auteur de BD, et c’est donc d’après son roman graphique 5 est le numéro parfait, publié il y a plus de quinze ans, qu’il a réalisé ce film en le signant Igort. Il relate l’histoire de Peppino Lo Cicero, ancien tueur à gages de la Camorra, interprété, avec son habituel brio, par Toni Servillo.
Pari tenu. Le film semble tourné exactement comme il a dû être dessiné, il suffit de regarder le choix de la couleur et des lumières de Naples. Celle-ci est assombrie par une pluie diluvienne permanente, dont les gouttes glissent, rebondissent et brouillent le pare-brise de la voiture, une petite Bianchina très en vogue dans les années 60.
Peppino Lo Cicero, le personnage principal, est recouvert d’un long imperméable à la Bogart. Autour de lui, les personnages secondaires l’aident à massacrer la bande rivale, pour venger la mort de son fils.
Les deux bras tendus en croix, un gros calibre dans chaque main, ils tirent dans tous les sens et le sang gicle à chaque plan. Le nez proéminent de Peppino et son Borsalino enfoncé sur sa tête renforcent la découpe de son profil taillé à la serpe, portrait craché de Dick Tracy dessiné par Chester Gould. C’est la caricature du parfait gangster. La Rita de Peppino, interprétée par Valeria Golino, est une superbe femme amoureuse, blessée et terriblement humaine.
La composition de certaines scènes, en plongée et contre-plongée, accentue les situations dramatiques. L’éclairage des décors simplifie les lignes et réduit l’espace scénique à quelques éléments extérieurs, dans une sorte de vacuité des lieux qui crée une image plate. Les gros plans sur les visages ou sur les chaussures et les bas de pantalon sont une des particularités de la bande dessinée et du western.
D’emblée, on se trouve dans un univers graphique, différent et éloigné de celui du cinéma. Le mouvement agit alors par juxtaposition et simultanéité de l’action et non dans une continuité narrative, des plans fixes cadrés et assemblés les uns aux autres, sans distanciation avec les personnages et leur champ d’action. Impression d’être dans la voiture, dans l’escalier, sur la terrasse de l’immeuble, dans l’appartement, dans l’image.
Le film séduit par ses aspects spécifiques à l’esthétique de la bande dessinée, expression particulière qui fabrique d’autres sortes d’images, parfois saisissantes d’efficacité, drôles, cocasses et surtout totalement irréelles, jusqu’à la fin, où Peppino, la tête sous un sombrero, devise sur sa vie face à la plage ensoleillée.
Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°396-397, octobre 2019
5 est le numéro parfait (5 è il numero perfetto). Réal, sc : Igor Tuveri alias Igort ; ph : Nicolai Brüel ; mont : Esmeralda Calabria, Walter Fasano, Jan Hameeuw. Int : Toni Servillo, Valeria Golino, Iaia Forte, Carlo Buccirosso (Italie-Belgique-France, 2019, 100 mn).