par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma en ligne directe
Sélection officielle en séance spéciale au Festival de Cannes 2019
Sortie le mercredi 30 octobre 2019
Cette année à Cannes, Patricio Guzman a reçu pour ce film l’Œil d’or du meilleur documentaire, prix décerné par la SCAM. La Cordillère des songes est le dernier volet de la trilogie consacrée par le cinéaste à son Chili natal, après Nostalgie de la lumière et Le Bouton de nacre. (1)
Depuis 1972 et La Bataille du Chili, trilogie de cinq heures sur le gouvernement Allende et sa chute, (2) la filmographie de l’auteur est tout entière centrée sur l’étude de son pays. Après le coup d’État de Pinochet, Patricio Guzman fut arrêté et emprisonné durant deux semaines ; il quitta son pays en 1973 pour rejoindre Cuba, l’Espagne, puis la France, où il vit.
La Cordillère des songes est un voyage intérieur, une sorte de rêve éveillé sur le pays qui l’a vu naître, constitué de différents éléments sonores et visuels.
D’abord, de belles retrouvailles avec quelques amis, deux sculpteurs au cœur des leurs ateliers, Francisco Gazitua et Vicente Gajardo, un écrivain, Jorge Baradit et le cinéaste Pablo Salas.
Les interventions et réflexions de ces derniers sont montées/collées à des archives filmées par Salas, montrant la répression lors des manifestations contre Pinochet, et d’autres images violentes du régime dictatorial, sans compter les témoignages évoqués par l’ami cinéaste, arrestations, enfermements, tortures.
Puis vient un troisième élément qui réunira les deux précédents, c’est la Cordillère des Andes, prodigieuse chaîne de montagnes qui traverse le Chili du Nord au Sud et poursuit sa route jusqu’en Argentine.
C’est dans cette attirance à vouloir la saisir que Patricio Guzman exprime l’essence de son film. C’est en la voyant du ciel qu’il semble en comprendre soudain l’immensité de la ligne et la puissance.
La voix off raconte l’histoire du pays alors que la caméra enregistre le paysage. Dans la contemplation du spectateur face à cette sublime beauté, la montagne prend soudain une place dans l’Histoire, comme si les troubles et les événements politiques du pays avaient quasiment modelé sa forme et lui avaient donné un sens, la voix off disant la lutte d’un peuple pour survivre, la montagne la représentant.
Plus il la filme et plus pèse le poids mémoriel de la présence d’un passé douloureux, d’une souffrance toujours active et brûlante. Il suit l’épine dorsale infinie des Andes et par ses mouvements de caméra lents et déterminés, il capte une splendeur immuable, à jamais indestructible.
La Cordillère des songes est à la fois une dénonciation et une espérance intimement liées, inscrites au plus profond de l’âme chilienne du réalisateur.
Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma en ligne directe
1. Nostalgie de la lumière (Nostalgia de la luz, 2010) ; Le Bouton de nacre (El botón de nácar, 2015).
2. La Bataille du Chili (La Batalla de Chile : la lucha de un pueblo sin armas, 1975-1979) est une trilogie : L’Insurrection de la bourgeoisie (La insurrección de la burguesía, 1975) ; Le Coup d’État (El golpe de estado, 1977) ; Le Pouvoir populaire (El poder popular, 1979). Cf. Jeune Cinéma n°88 de juillet 1975, n°91 de décembre 1975 et n°100 de février 1977.
La Cordillère des songes (La Cordillera de los sueños). Réal, sc : Patricio Guzman ; ph : Samuel Lahu ; mont : Emmanuelle Joly ; mu : Miranda y Tobar (France, 2018, 85 mn). Documentaire.