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Chanson douce (2019)
de Lucie Borleteau
publié le mercredi 27 novembre 2019

par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 27 novembre 2019


 


Adaptant le roman de Leïla Slimani, prix Goncourt 2016, Lucie Borleteau a relevé le défi de filmer cette "chanson douce", où rien, ni surtout le titre, ne laisse présager une telle descente infernale.

Myriam (Leïla Bekhti) et Paul (Antoine Reinartz) forment un couple uni et vivent sereinement avec leurs deux enfants, une fillette, Mila, et un bébé. Vient la recherche d’une nounou, car Myriam désire reprendre son métier d’avocate. La valse des nounous commence jusqu’à ce que l’une d’entre elles attire l’attention par sa remarque sensible : "Excusez-moi, mais je crois que quelqu’un est en train de se réveiller". Son visage solaire enchante Paul et Myriam, Louise (Karin Viard) est engagée.


 


 

La vie s’écoule avec bonheur, les parents sont conquis et confiants, l’amour s’exprime, le travail les captive et Louise apporte à la famille la douceur d’un foyer où les enfants vivent heureux, protégés et soignés par cette nounou enviée par le voisinage. Le jeu de Karin Viard est absolument remarquable.


 

S’éloignant (un peu) du roman, Lucie Borleteau reprend la chronologie des faits et fabrique un film très inventif, mêlant les genres avec audace autour du désordre de la psyché.
Dès les premiers jours de la présence de Louise, elle saisit le moindre vacillement, la fissure qui lentement déchire la quiétude trop vite installée. L’appartement lumineux semble s’assombrir, les gestes de Louise deviennent bizarres, elle manifeste à l’égard des enfants certaines manies, vaguement teintées de perversité. Elle change ses habitudes, sort de sa réserve polie, se met à crier des horreurs, s’emporte, et brutalement, mord le bras de Mila.


 

La caméra traque littéralement Louise, la suit dans ses déplacements dans la ville, silhouette raide et volontaire, d’une "inquiétante étrangeté", elle frôle son corps sous la douche, plaqué contre le rideau, comme empaqueté, vision presque malsaine d’un insecte pris au piège, elle la déniche étendue sous le lit de Mila, l’œil aux aguets, elle la surprend en maja desnuda, allongée sur le canapé du salon en l’absence de la famille. Attitudes qui dénotent un dérangement certain, qui n’inquiète pas les parents absents.


 

Lucie Borleteau continue de filmer le visage radieux de Myriam, emplie de l’affection que Leïla Bekhti disperse avec générosité. On a envie d’y croire avec elle, au merveilleux travail de Louise, à son rayonnement parfait, mais l’atmosphère au sein de la famille se crispe, Paul commence à refuser l’emprise qu’elle exerce sur les enfants.


 

La réalisatrice emprunte des éléments au cinéma fantastique, rejoignant Dominik Moll et son film Lemming. (1) Elle n’hésite pas à utiliser l’hallucination et lâche dans la salle de bain des poulpes, qui, tous tentacules déployés, rampent, s’infiltrent et pénètrent tous les lieux, métaphore de la mainmise insidieuse de Louise sur la famille. Le charme est rompu. Comme un papillon de nuit dans le faisceau d’une torche, Louise se débat avec ses songes les plus odieux et met en marche l’inéluctable. Acculée à sa propre peur, elle commet le pire, s’épargnant ainsi le jugement qui pèse sur elle.


 

Devant l’horreur, Myriam semble traverser l’écran, sa douleur est filmée comme un saut dans l’au-delà du monde. Sa fuite en avant nous frappe au visage, comme les spectateurs anciens, terrifiés par les premières images du train qui fonçait vers eux.
Lucie Borleteau a signé là un film personnel, inventif et fort.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma en ligne directe

* Cf. aussi Entretien avec Lucie Borleteau, in Jeune Cinéma n°398, à paraître.

1. Lemming de Dominik Moll est sorti en 2005.


Chanson douce. Réal : Lucie Borleteau ; sc : Lucie Borleteau & Jérémie Elkaïm, d’après le roman de Leïla Slimani ; ph : Alexis Kavyrchine ; mont : Laurence Briaud ; mu : Pierre Desprats. Int : Karin Viard, Leïla Bekhti, Antoine Reinartz, Noëlle Renaude (France, 2019, 100 mn).



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